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STRAWSON PETER FREDERICK (1919-2006)

Né en 1919, fellow de l'université d'Oxford où il fit ses études (St. John's College), Peter Frederick Strawson est l'un des auteurs dominants de la philosophie dite du langage ordinaire, qui procède, pour ses prémisses, du second Wittgenstein, pour sa méthode scrupuleuse, de Moore, et, pour son respect de la langue commune, des travaux d'Austin. Philosophe linguistique (plus que philosophe du langage), Strawson réfléchit au problème de la référence dans la perspective plus générale des rapports de la théorie logique et du langage ordinaire, avant de dépasser cette perspective d'analyse linguistique en une description systématique de notre structure conceptuelle.

Référence et prédication

Le problème

Les descriptions définies font partie d'une classe d'expressions utilisées pour se référer à une personne individuelle, à un objet, à un événement ou à un lieu particuliers. Lorsque ces expressions (noms propres, pronoms démonstratifs singuliers, descriptions définies) se présentent comme sujets d'une phrase prédicative, elles ont un usage de référence singulière. L'étude de ces expressions enveloppe donc l'examen d'un problème plus large, la référence, qui fut central dans la réflexion philosophique depuis 1902 et resta une pierre de touche pour les écoles anglo-saxonnes d'analyse philosophique.

À vrai dire, ces expressions posent deux problèmes, celui de la référence ambiguë (quand plus d'un individu répond à l'expression référente) et celui de l'absence de référence (quand aucun individu ne répond à l'expression référente). Strawson consacre son article bien connu de 1950, On Referring, au second, dont l'enjeu théorique est important. Sa solution rencontre, en effet, la fameuse théorie russellienne des descriptions, dans la mesure où celle-ci était encore tenue parmi les logiciens pour une explication correcte de l'usage de ces expressions dans la langue commune.

La critique

Considérée dans cette perspective, la théorie russellienne présente, selon Strawson, quelques erreurs fondamentales. Soit la phrase S, « le roi de France est sage », contenant l'expression descriptive D, « le roi de France » : Russell a tort de dire que quiconque prononce maintenant cette phrase fait une assertion qui à une valeur de vérité (ici, le faux), que cette assertion implique l'existence d'un roi de France. Ces deux déclarations sont peut-être adéquates pour la logique et les mathématiques ; elles ne sont pas en accord avec notre usage naturel de ce type de phrase ; elles sont du reste liées et fausses ensemble. Si l'on me dit, en effet : « le roi de France est sage », je penserai qu'il y a malentendu et j'expliquerai à mon interlocuteur que la question ne se pose pas, parce qu'il n'y a pas de roi de France. Et cette réponse ne revient pas à déclarer que S est faux. La critique de Strawson, qui déplace l'analyse d'une certaine classe de propositions à l'étude de l'usage de certaines phrases, n'hésite pas à reformuler dans sa perspective la solution russellienne, de manière à mettre en évidence un certain nombre d'assomptions contestables. Russell, dans On Denoting, avait soutenu contre Meinong que le sujet grammatical de S ne saurait être son sujet logique et donc que S n'est pas de forme prédicative. Si S a un sens, alors qu'il n'y a pas de roi de France, c'est que la proposition exprimée par S est une espèce complexe de proposition existentielle (avec clause d'unicité).

Il est clair que Russell assume implicitement que, si une phrase présente une forme prédicative, son sujet est un authentique nom propre, c'est-à-dire dénommant quelque chose qui existe. Une telle assomption – qui revient à soutenir que la signification d'un nom est identique à ce qu'il représente – est fallacieuse. Avant Strawson, Wittgenstein avait objecté à cette identification du nom avec son porteur (Investigations, 39-43). Sans doute, en assumant qu'un nom propre signifie ce qu'il représente, l'argument russellien est valide : si la description D n'a pas de référent, il s'ensuit que, si l'énoncé S est de forme prédicative, il ne peut être pourvu de sens (il contiendrait un constituant dépourvu de sens). Comme S n'est pas dépourvu de sens, c'est que S n'est pas vraiment de forme prédicative. Russell, dans cette hypothèse, n'a plus qu'à adopter une analyse existentielle. S est analysée comme suit : il y a un roi de France, il n'y a pas plus d'un roi de Fance, il n'y a rien qui est roi de France et qui n'est pas chauve. L'énoncé complexe asserte alors notamment l'existence d'une entité correspondant à D. Mais, sauf à faire l'assomption précédente, contraire au génie de la langue ordinaire, tout ce que Russell aurait dû conclure dans son argument, c'est précisément que le porteur d'un nom ne doit pas être confondu avec la signification de ce nom. La critique de Strawson applique ici une leçon d'esprit frégéen.

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Pour Strawson, en se référant à une entité, un locuteur présuppose que l'entité existe, mais il n'asserte pas qu'elle existe. Le thème des présuppositions, que les linguistes ont ensuite élaboré pour leur propre compte, a son origine dans les efforts de Strawson pour parvenir à une explication alternative de la théorie russellienne des descriptions. Comment ce thème est-il introduit ?

L'exposé

Strawson élabore sa propre doctrine de la référence – se référer n'est pas asserter l'existence d'une entité – à l'aide de deux distinctions.

La première, entre implication logique et présupposition, a été élaborée deux ans plus tard dans Introduction to Logical Theory. Strawson considère que Russell n'a pas compris le véritable caractère de la relation en cause. Soit S l'énoncé présupposant et S' l'énoncé présupposé. « S présuppose S' » signifie : « La vérité de S est condition nécessaire de la vérité ou de la fausseté de S'. » Dans l'interprétation russellienne, puisque S' est faux, on doit conclure par modus tollens que S est faux. Ce qui n'est pas exact, on l'a dit, puisque la question de la vérité ou de la fausseté ne se pose pas. La formulation strawsonienne « S présuppose S' » évite l'inférence fallacieuse. Mais cette erreur de Russell, estime Strawson, vient de ce qu'il a négligé une autre distinction.

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Cette seconde distinction entre une phrase et l'énoncé apparaît si l'on remarque que l'on peut utiliser cette phrase dans telle ou telle occasion particulière. Ainsi le locuteur qui prononce S à l'époque où la France est une monarchie et le locuteur qui la prononce à présent, alors que la France n'est pas une monarchie, ont prononcé exactement la même phrase. Or, le premier parvient à faire un énoncé vrai ou faux (selon que le monarque est sage ou non), alors que le second ne dit rien de vrai ni de faux parce que l'énoncé présupposé par ces mots est faux. Si Russell est acculé à la trichotomie (qui veut que S soit ou vrai ou faux ou dépourvu de sens), c'est qu'il confond les phrases qui ont un sens, sans être ni vraies ni fausses, avec les énoncés qu'elles permettent de faire, dont certains sont vrais et d'autres faux. La signification d'une phrase est fonction de l'expression linguistique comme telle, tandis que la valeur de vérité est fonction de son usage dans telle ou telle circonstance. Cette confusion empêche Russell d'apercevoir une autre possibilité ; qu'un locuteur prononce maintenant S sans que S ait une valeur de vérité.

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    ...Categorial Frameworks, 1970). D'autres descriptions sont possibles ; en se réclamant ouvertement d'un « critère catégorial », P. F.  Strawson distingue propriétés « spécifiques » et propriétés « caractéristiques », qui correspondent de près aux principes constitutifs et d'individuation...
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