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MÉTHODE

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L'hypothèse et l'expérience mentale

Les analyses des épistémologues depuis C. Bernard sont centrées autour de la méthode expérimentale et la discussion roule sur les rôles respectifs de l'hypothèse ou de l' invention et de l'expérience. Lequel est premier, le fait ou l'idée ? Peut-on se passer d'hypothèse ? L'hypothèse procède de notre tendance spéculative, du besoin de compléter mentalement les apparences ou les observations. Elle est suspecte à ce titre, c'est-à-dire comme expérience mentale ou imaginaire. Il est équitable de reconnaître que ce qui a été deviné correctement peut s'y mêler au faux, et que d'ailleurs plusieurs constructions mentales peuvent être indispensables avant de découvrir celle qui s'accorde avec l'ordre de la nature. Néanmoins, « la facilité à forger des hypothèses est si loin d'être un défaut dans le caractère intellectuel d'un savant qu'elle est, en vérité, une faculté nécessaire à son travail de découverte. Il vaut beaucoup mieux pour son dessein qu'il soit trop prompt à imaginer et trop empressé à développer des systèmes paraissant susceptibles d'introduire la loi et l'ordre dans une masse de faits incohérents, que de se trouver à court d'inventions et sans espoir d'obtenir un tel résultat » (Whewell).

L'hypothèse, en tant que liée à l'expérimentation mentale, a été très lucidement analysée par Mach (cité en bibliographie). La conjecture scientifique suppose des représentations des phénomènes et une disposition à les combiner. « Nous avons nos représentations sous la main plus facilement que les faits eux-mêmes, et nous expérimentons avec les pensées à moindres frais. » L'expérimentation mentale peut servir à écarter une hypothèse en en montrant les conséquences absurdes ; en faisant varier mentalement les circonstances, elle s'utilise à isoler les causes ou les caractères essentiels d'un phénomène (« méthode des variations continues », dont la géométrie utilise une variante : cf. les notions d'homotopie, de transversalité, etc.). C'est par cette voie que Galilée a découvert l'effet d'échelle : la taille des animaux et des végétaux a des limites ; si leurs dimensions s'agrandissaient dans toutes les directions en laissant la figure inchangée, la solidité des os ne s'accroissant pas suivant les mêmes proportions, ils s'effondreraient par leur propre poids. L'expérience mentale permet d'anticiper qualitativement les résultats d'expériences, la valeur précise ne pouvant être déterminée que par l'expérimentation physique. En plus, l'expérience imaginaire prépare l'expérience physique, puisque l'expérimentateur doit voir en imagination l'arrangement matériel dont il a besoin pour vérifier sa conjecture ; enfin, une expérience mentale, dont la conclusion paraît incertaine, pousse à l'expérience physique. Sur ces sujets, on a coutume de citer Galilée comme une illustration exemplaire. Mach donne des cas plus récents. On pourrait aussi mentionner Einstein, dont le principe d'équivalence, base de la relativité générale, est issu d'une expérience de pensée (dans un ascenseur en chute libre, une personne n'éprouve plus la sensation de pesanteur : on n'a réalisé des conditions, où la gravité s'annule, que plus tard, quand on a su placer un vaisseau spatial en orbite autour de la Terre).

L'expérimentation mentale intervient aussi en mathématiques. « Tous ceux qui ont cherché à intégrer des équations reconnaîtront qu'une expérience mentale précède la solution définitive. La méthode des coefficients indéterminés, si féconde et historiquement si importante, est, à proprement parler, une méthode expérimentale. » Mach fait encore remarquer que les[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université Paris-XII-Val-de-Marne, Créteil

Classification

Pour citer cet article

Jean LARGEAULT. MÉTHODE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Autres références

  • L'ARCHÉOLOGIE DU SAVOIR, Michel Foucault - Fiche de lecture

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    L'explicitation de l'entreprise amorcée par Michel Foucault (1926-1984) avec l'Histoire de la folie à l'âge classique (1961), poursuivie dans Naissance de la clinique (1963) et plus précisément continuée par une « archéologie des sciences humaines », Les Mots et les choses...

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