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GORKI MAXIME (1868-1936)

Le retour en U.R.S.S.

Des considérations idéologiques et financières décident Gorki à revenir en Union soviétique : après un premier voyage en 1928, organisé par Staline comme un triomphe, il passera chaque été en U.R.S.S. – à l'exception de l'année 1930 – avant de quitter définitivement Sorrente en mai 1933. Les « buts fabuleux » de l'utopie communiste l'emportent pour Gorki sur la réalité des camps et du travail forcé, qu'il n'ignore pas, mais sur laquelle il ferme les yeux ou qu'il justifie à l'aide de sa philosophie antipersonnaliste et relativiste d'avant la révolution : « Si l'ennemi ne se rend pas, on l'extermine » (1930). En 1934, Gorki est élu président de la nouvelle Union des écrivains soviétiques. Il a la satisfaction de voir le romantisme révolutionnaire reconnu comme une composante du réalisme socialiste : Gorki a toujours pensé que la littérature devait s'élever au-dessus de la réalité pour montrer ce qui est souhaitable, et éveiller les forces créatrices de l'homme, « énergétiser le peuple ».

En revenant en U.R.S.S., Gorki avait l'ambition d'adoucir l'attitude de Staline à l'égard de l'opposition politique (Boukharine, Kamenev, Radek). Mais la mort suspecte, en 1934, de son fils Maxime, né en 1897, puis l'assassinat de Kirov, qui ouvre la voie à l'élimination des « vieux bolcheviks », mettent fin à ces espoirs : Gorki est de facto assigné à résidence, fût-elle dorée, ses contacts avec l'extérieur sont filtrés. Le « vieil ours a un anneau passé au nez », dira de lui Romain Rolland qui ira le voir en 1935. Il multiplie les entreprises éditoriales, et les articles contre le fascisme, mais ses collaborateurs seront arrêtés après sa mort, et le pacte germano-soviétique sera signé en 1939. La mort de l'écrivain, survenue le 18 juin 1936 après une courte maladie, reste entourée de mystère. Elle coïncide avec l'arrivée à Moscou d'Aragon, qui dit avoir été « harcelé » de messages de Gorki, et celle de Gide et de Pierre Herbart. En 1938, le secrétaire et les médecins de Gorki furent condamnés lors du procès du « bloc des droitiers et des trotskistes ». Ils ont été réhabilités en 1988, mais non le chef du N.K.V.D., Yagoda, qui, lors du même procès, avoua avoir ordonné sa mort. De toute façon, Staline préférait un Gorki mort et mythifié à un Gorki imprévisible et toujours quelque peu hérétique. Sa disparition ouvrit la voie aux grands « procès de Moscou » contre ses amis Kamenev (août 1936), Radek (1937), Boukharine (1938).

Gorki n'est ni un personnage entièrement inféodé au pouvoir, ni une victime innocente de ses illusions. Il était dans sa nature romantique de préférer l'utopie à la réalité. De là ce dédoublement tragique entre l'individu et le collectif, le réel et l'illusion, la liberté et la contrainte. Le « chantre de la raison », comme l'appela Boukharine, devenait l'otage du régime qui eut en lui son meilleur ambassadeur. Mais, en dehors d'une pièce contre les « saboteurs » (Somov et les autres, 1930, publiée en 1941), Gorki n'écrivit guère sur la période soviétique que des articles à la gloire de l'homme nouveau, ou contre les ennemis intérieurs et extérieurs. L'écrivain, grand créateur de mythes, continua à peindre le passé, dans lequel il pressentit, puis chercha les causes d'une révolution qui dévora ses enfants.

— Michel NIQUEUX

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Écrit par

  • : professeur de langues et littératures slaves à l'université de Caen

Classification

Pour citer cet article

Michel NIQUEUX. GORKI MAXIME (1868-1936) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<em>Les Estivants</em> de M. Gorki, mise en scène de Gérard Desarthe - crédits : Raphael Gaillarde/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Les Estivants de M. Gorki, mise en scène de Gérard Desarthe

Gorki - crédits : General Photographic Agency/ Hulton Archive/ Getty Images

Gorki

Autres références

  • DONSKOÏ MARK SEMENOVITCH (1901-1981)

    • Écrit par Gérard LEGRAND
    • 665 mots

    L'un des plus originaux parmi les cinéastes soviétiques est né à Odessa, où son père était ouvrier (la date exacte de sa naissance est inconnue à une ou deux années près). En 1917, la révolution lui « permet de faire des études », comme il le dira plus tard. Après deux années de médecine pendant...

  • ENFANCE, Maxime Gorki - Fiche de lecture

    • Écrit par Michel NIQUEUX
    • 1 063 mots
    • 1 média

    Enfance (1913) est le premier volet de la trilogie autobiographique de Gorki (1868-1936), poursuivie avec En gagnant mon pain (1916) et Mes Universités (1923). Déjà célèbre pour ses Récits et croquis (1898), ses pièces de théâtre (Les Bas-Fonds, 1903), ses romans (La Mère, 1907) et d'autres...

  • LA FABRIQUE DE L'ÉCRIVAIN NATIONAL (A.-M. Thiesse) - Fiche de lecture

    • Écrit par Marie-Ève THÉRENTY
    • 1 358 mots
    • 2 médias
    ...disparaissent des programmes scolaires. Certains sont exécutés (Isaac Babel) ou marginalisés (Mikhaïl Boulgakov), tandis que d’autres, à l’instar de Maxime Gorki, sont glorifiés comme écrivains soviétiques. Dans l’Allemagne nazie, la mise au pas de la culture passe par la destruction des livres, la...
  • RUSSIE (Arts et culture) - La littérature

    • Écrit par Michel AUCOUTURIER, Marie-Christine AUTANT-MATHIEU, Hélène HENRY, Hélène MÉLAT, Georges NIVAT
    • 23 999 mots
    • 7 médias
    ...publiciste ; il prend chez Bounine la forme d'une vision tragique du bonheur de vivre dont l'acuité n'est jamais mieux ressentie qu'en présence de la mort. La réaction contre le pessimisme s'esquisse dans l'œuvre de Korolenko, et surtout de Maxime Gorki qui prend pour héros, dans ses premiers récits, des vagabonds...

Voir aussi