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MAN YŌ SHŪ

Compilé au cours de la seconde moitié du viiie siècle, le Man yō shū est la première en date des grandes anthologies poétiques du Japon. Parfaite expression du génie d'une civilisation encore proche de ses origines, ce recueil de poèmes dus à des centaines de poètes connus ou anonymes constitue un témoignage irremplaçable sur la vie, la pensée et la sensibilité d'un Japon relativement peu marqué encore par les influences chinoises.

Le texte

La signification du titre est discutée ; les idéogrammes qui servent à le transcrire peuvent se traduire par Recueil de dix mille feuilles, mais il pourrait s'agir d'un jeu de mots, et il faudrait alors entendre : Recueil des dix mille âges (ou règnes).

Le nombre des poèmes varie selon les manuscrits, mais se situe autour de quatre mille cinq cents. La version tenue traditionnellement pour la meilleure contient deux cent soixante-cinq chōka, soixante-deux sedōka et quatre mille deux cent sept tanka. L'on y trouve en outre quatre poèmes (kanshi) et vingt-deux textes littéraires (kambun) en chinois classique.

Le chōka ou naga-uta (« poème long ») est formé d'une succession de versets de cinq plus sept syllabes, invariablement terminée par un groupe 5-7-7. Le plus long, l'élégie funèbre du prince Takechi, comporte 149 versets. Certains chōka sont faits de plusieurs couplets, construits chacun sur le même principe. Presque tous sont suivis par un « envoi » (hanka).

Les sedōka sont composés de deux couplets de formules 5-7-7. Le tanka ou mijika-uta, de deux versets 5-7-5 et 7-7, évincera par la suite totalement les deux autres formes et restera pendant des siècles le waka (poème japonais) par excellence.

Chaque poème ou groupe de poèmes est précédé d'une brève notice, en chinois, précisant les circonstances de sa composition ; l'ensemble est réparti en vingt livres.

Le Man yō shū se présente comme une anthologie de toute la poésie de langue japonaise depuis l'empereur Nintoku (dates traditionnelles de règne : 313-400). En fait, les pièces antérieures au règne de Suiko (593-629) sont peu nombreuses, et leur authenticité fort discutable. Les plus récentes sont datées de 759. Des recueils antérieurs, aujourd'hui perdus, dont six sont explicitement cités, semblent avoir été largement mis à contribution.

Les quatre derniers livres contiennent trois cent trente tanka, quarante-six chōka et un sedōka attribués au seul Ōtomo no Yakamochi (717-785), d'où l'on a conclu que ce poète devait être le compilateur de l'ensemble. Il est plus vraisemblable cependant que le Man yō shū soit la réunion de plusieurs recueils partiels, effectuée vers 760, peut-être par Yakamochi.

La classification est loin de répondre à des critères uniformes ; les poèmes sont en effet répartis tantôt par ordre chronologique, tantôt par auteurs, par origine géographique, par genres ou par thèmes. Les poèmes des quatre saisons, qui occupent invariablement les six premiers livres des recueils postérieurs, ne sont pas encore distingués en tant que tels. Trois rubriques, répétées en divers endroits, occupent une place de choix : les banka, les sōmon et les zōka.

Les banka sont des élégies funèbres dédiées à des proches ou à des grands, voire à des personnages de légende.

Les sōmon expriment des sentiments intimes ; la plupart sont des poèmes d'amour, mais d'autres s'adressent à des parents ou à des amis ; souvent ils sont groupés par deux et se répondent. L'on y distingue trois formes littéraires de l'expression : l'énoncé direct du sentiment, le sentiment exprimé à travers une allusion et les poèmes métaphoriques.

Les zōka (poèmes divers) célèbrent des événements de toute nature : sorties impériales, voyages, banquets publics ou privés...

Rédigé avant l'invention des signes phonétiques (kana) le Man yō[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales

Classification

Pour citer cet article

René SIEFFERT. MAN YŌ SHŪ [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

<it>Portrait de Kakinomoto no Hitomaro</it>, Enku - crédits : M. De Fraeye/ AKG-images

Portrait de Kakinomoto no Hitomaro, Enku

Autres références

  • ISE MONOGATARI

    • Écrit par René SIEFFERT
    • 1 154 mots

    Recueil de contes illustrés de courts poèmes, l'Ise monogatari est probablement le plus ancien écrit en prose de la littérature japonaise. Œuvre de transition entre la poésie du Man yō shū (viiie s.) et les « dits » (monogatari) ou les journaux intimes (nikki) du xe siècle, il représente,...

  • JAPON (Arts et culture) - La littérature

    • Écrit par Jean-Jacques ORIGAS, Cécile SAKAI, René SIEFFERT
    • 20 234 mots
    • 2 médias
    ...citer sont des documents officiels dont les prétentions littéraires, si tant est qu'il y en ait, sont purement formelles. Il en va tout autrement avec le Man shū, la plus ancienne et la plus importante des anthologies poétiques du Japon. Quatre mille cinq cents poèmes répartis en vingt livres, réunis...
  • KOKIN-SHŪ (905), œuvre anonyme

    • Écrit par René SIEFFERT
    • 412 mots

    Première des vingt et une anthologies classiques du waka (poésie de langue japonaise), le Recueil[des waka] de jadis et naguère (Kokin[waka]shū, ou Kokin-shū) fut compilé en 905 sur l'ordre de l'empereur Daigo, par une commission de poètes présidée par Ki no Tsurayuki. Comme le...

  • LYRISME

    • Écrit par Jamel Eddine BENCHEIKH, Jean-Pierre DIÉNY, Jean-Michel MAULPOIX, Vincent MONTEIL, René SIEFFERT
    • 10 725 mots
    • 2 médias
    ...Tsurayuki, poète dont les œuvres sont les plus alambiquées que l'on puisse imaginer, il faut se reporter en fait à la grande anthologie du siècle de Nara, le Man yō shū, achevé vers 760. Des quatre mille cinq cents pièces de cette monumentale compilation, bon nombre sont déjà imprégnées de ce formalisme à...

Voir aussi