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MAN YŌ SHŪ

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Chronologie du « Man yō shū »

Tous les critiques s'accordent sur la nécessité d'introduire dans l'étude du recueil des divisions chronologiques qui mettent en évidence l'évolution du style et des concepts poétiques. La plupart d'entre eux retiennent cinq périodes principales, avec des dates limites qui varient légèrement d'un auteur à l'autre.

– Avant 629 (fin du règne de Suiko) ; les œuvres de cette période, réparties sur une longue durée, sont relativement peu nombreuses. La technique, élémentaire, ainsi que l'inspiration, spontanée et caractérisée par un vif sentiment de la nature, se rapprochent de celles des poèmes contenus dans les chroniques, Kojikiet Nihon shoki. Parmi les auteurs, citons l'empereur Yūryaku et le prince Karu.

– De 629 à 672 se fixent les règles du waka, qui conserve cependant une certaine beauté archaïque, une richesse d'inspiration libre de toute contrainte, dans l'expression lyrique des sentiments ; c'est aussi l'âge d'or de la poésie descriptive qui découvre les variations saisonnières. L'influence chinoise est déjà perceptible chez les poètes de cour, nombreux, à commencer par les empereurs Jomei, Saimei et Tenchi et leur entourage, dont se détache la séduisante princesse Nukada qui fut aimée par deux souverains.

<it>Portrait de Kakinomoto no Hitomaro</it>, Enku - crédits : M. De Fraeye/ AKG-images

Portrait de Kakinomoto no Hitomaro, Enku

– De 672 à la fondation de Nara (710), la poésie, qui atteint avec les chōka de Kakinomoto no Hitomaro (mort vers 710 ?) son plus haut degré de perfection formelle, se dégage définitivement des contraintes rythmiques du chant. La forte personnalité de ce poète, le plus grand sans doute du Man yō shū, s'exprime dans des compositions brillantes, où la simplicité primitive devient un procédé savant pour obtenir des résonances puissantes (élégie du prince Takechi). Chantre de la maison régnante, Hitomaro en célèbre la gloire, sublimant la personne même de l'empereur qualifié de « dieu-humain » (ara-hito-gami). Dans le même temps, Takechi no Kurohito traduit une nouvelle conception de l'existence en introduisant dans la poésie de la nature l'angoisse de la solitude, qui deviendra l'un des thèmes préférés de la poésie classique.

– De 710 à 733, le Japon s'ouvre pleinement à la culture chinoise. Les thèmes, les moyens d'expression, les rythmes se diversifient ; la poésie s'affine et s'individualise. Yamabe no Akahito excelle dans les descriptions teintées d'une délicate mélancolie ; Yamanoe no Okura, qui fut d'une ambassade en Chine, chante ses peines dans des chōka d'une savante perfection ; Takahashi no Mushimaro, fonctionnaire provincial, met en vers des légendes locales qui connurent par la suite une haute fortune littéraire.

– De 733 à 759, la culture de Nara atteint son apogée ; la poésie, urbaine et intellectualisée, se perd dans des recherches esthétiques sophistiquées. Ōtomo no Yakamochi incarne parfaitement les qualités et les défauts de son temps, en alliant poésie descriptive et lyrisme, dans des esquisses de paysages où une mélancolie de bon ton s'inscrit en contrepoint. Les improvisations de banquet abondent, brillantes, mais dépourvues de sincérité. Les « chants des gardes des Marches » toutefois perpétuent la tradition de l'« énoncé direct des sentiments » et de l'expression spontanée de la poésie populaire, qui conserve, à l'abri des modes de la cour, les qualités des « chants des provinces » dont témoignent des centaines de poèmes du recueil, sauvés de l'oubli par les compilateurs.

Car ce n'est pas le moindre mérite du Man yō shū que d'avoir donné une place non négligeable à tous ces anonymes « du commun », à côté des empereurs, impératrices, princes, dignitaires ou prélats dont les seuls noms étaient jugés dignes d'être transmis à la postérité. Et c'est en cela précisément[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales

Classification

Pour citer cet article

René SIEFFERT. MAN YŌ SHŪ [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Média

<it>Portrait de Kakinomoto no Hitomaro</it>, Enku - crédits : M. De Fraeye/ AKG-images

Portrait de Kakinomoto no Hitomaro, Enku

Autres références

  • ISE MONOGATARI

    • Écrit par
    • 1 154 mots

    Recueil de contes illustrés de courts poèmes, l'Ise monogatari est probablement le plus ancien écrit en prose de la littérature japonaise. Œuvre de transition entre la poésie du Man yō shū (viiie s.) et les « dits » (monogatari) ou les journaux intimes (nikki) du xe siècle, il représente,...

  • JAPON (Arts et culture) - La littérature

    • Écrit par , et
    • 20 234 mots
    • 2 médias
    ...citer sont des documents officiels dont les prétentions littéraires, si tant est qu'il y en ait, sont purement formelles. Il en va tout autrement avec le Man shū, la plus ancienne et la plus importante des anthologies poétiques du Japon. Quatre mille cinq cents poèmes répartis en vingt livres, réunis...
  • KOKIN-SHŪ (905), œuvre anonyme

    • Écrit par
    • 412 mots

    Première des vingt et une anthologies classiques du waka (poésie de langue japonaise), le Recueil[des waka] de jadis et naguère (Kokin[waka]shū, ou Kokin-shū) fut compilé en 905 sur l'ordre de l'empereur Daigo, par une commission de poètes présidée par Ki no Tsurayuki. Comme le...

  • LYRISME

    • Écrit par , , , et
    • 10 725 mots
    • 2 médias
    ...Tsurayuki, poète dont les œuvres sont les plus alambiquées que l'on puisse imaginer, il faut se reporter en fait à la grande anthologie du siècle de Nara, le Man yō shū, achevé vers 760. Des quatre mille cinq cents pièces de cette monumentale compilation, bon nombre sont déjà imprégnées de ce formalisme à...