Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

SAINT-MARTIN LOUIS CLAUDE DE (1743-1803)

La doctrine saint-martinienne

L'œuvre entière de Saint-Martin montre sa fidélité aux enseignements de Martines : il n'a jamais nié la valeur ni l'efficacité de la théurgie cohen, mais a estimé n'avoir plus besoin de celle-ci une fois qu'il crut en avoir tiré assez d'avantages spirituels. Si la philosophie saint-martinienne se rattache étroitement aux systèmes de Böhme et de Pasqually, elle ne doit pratiquement rien à Swedenborg ni à Mme Guyon. Pour Saint-Martin comme pour ses maîtres, Dieu, avant le temps, produisit par émanation des êtres spirituels. Une partie de ces anges tomba dans le péché d'insubordination. Alors Dieu créa un univers pour circonscrire le mal ainsi introduit et pour servir de prison aux anges déchus. En même temps, il émana l'homme primordial, androgyne au corps glorieux, vice-roi de l'univers, pour servir de geôlier à ces démons, les amener à résipiscence. Mais l'homme, induit en tentation par eux, fut précipité à son tour dans cet univers en dehors duquel il aurait dû demeurer. En pénétrant à l'intérieur, il en rompit l'harmonie, devint homme et femme séparément, mortel, sujet à la peine, aux maladies. Il est donc un ange déchu qui non seulement se souvient des cieux, mais doit retrouver sa grandeur passée et son pouvoir de commander à tous les esprits, bons ou mauvais. Les anges demeurés dans l'obéissance peuvent aider l'homme si celui-ci les évoque d'une certaine façon. La prière, même dépourvue de cérémonies, reste pourtant l'arme la plus efficace. Le Christ est le grand réparateur, le vrai ferment de la Réintégration.

Saint-Martin développe une sophiologie ainsi qu'une arithmosophie étonnamment complètes, inséparables d'un programme de Réintégration que ses ouvrages exposent par le chant d'une prière fervente d'une grande élévation spirituelle. Il décrit longuement les conséquences de la chute, dont il tire l'essentiel de sa cosmologie, indique les voies par lesquelles l'homme pourrait se régénérer lui-même en entraînant la nature dans une gigantesque Réintégration. Jamais il ne craint de trop exalter le rôle de l'homme dans l'économie divine. Saint-Martin souligne les liens profonds de celui-là avec le Créateur, insiste sur ce qu'il y a de meilleur en lui : l'admiration, l'amour, la solidité des rapports humains, la valeur inestimable du grain de sénevé qui demeure enfoui dans le cœur de chacun mais qui peut nous porter jusqu'aux cieux, transfigurer la nature même, rendre à l'homme sa splendeur passée. Car c'est toujours de l'homme que part le Philosophe inconnu, pour qui il faut « expliquer les choses par l'homme, et non pas l'homme par les choses ». Toute étude sérieuse sur la « Philosophie de la Nature » à cette époque – au sens romantique du terme – devrait commencer par un examen attentif de son œuvre, particulièrement de L'Esprit des choses (1800).

Si Saint-Martin a tendance à se détacher du monde, il échappe toujours à la mystique pure, dans la mesure où il reste un insatiable observateur de la nature ; il intègre chaque notation concrète dans un système théosophique à la fois cosmogonique, cosmologique et eschatologique où chaque donnée est toujours saisie dans un ensemble des ensembles, secret de la démarche analogique ou de la doctrine des correspondances. C'est peut-être une des raisons pour lesquelles sa langue est si belle, même s'il n'a pas fait preuve de génie dans les quelques poèmes qu'il a écrits. Il demeure inégalable lorsqu'il se laisse aller au rythme musical, à la pensée scandée, des Psaumes, comme dans L'Homme de désir, auquel on ne saurait guère comparer que certaines des meilleures pages de Lamennais ou de Paul Claudel.

Il existe un « ordre martiniste[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section), professeur à l'université de Bordeaux-III

Classification

Pour citer cet article

Antoine FAIVRE. SAINT-MARTIN LOUIS CLAUDE DE (1743-1803) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • BAADER FRANZ XAVER VON (1765-1841)

    • Écrit par Antoine FAIVRE
    • 852 mots

    Théosophe allemand, qu'il serait malaisé de classer dans un système ; aussi bien aucun parti politique ou philosophique allemand ne s'est-il jamais réclamé de lui. Catholique, Franz von Baader a passé presque toute sa vie à prêcher le rapprochement avec l'Église orthodoxe, mais les théologiens officiels...

  • MARTINES DE PASQUALLY (1710-1774)

    • Écrit par Antoine FAIVRE
    • 990 mots

    D'origine incertaine, Martines de Pasqually, personnage dont l'évolution spirituelle reste encore mal connue faute de documents, apparaît tout à coup vers 1754 ; il commence alors une carrière de thaumaturge, surtout de théurge, et s'impose d'emblée comme un théosophe considérable, un mage nanti...

  • PAPUS GÉRARD ENCAUSSE dit (1865-1916)

    • Écrit par Universalis
    • 855 mots

    Défenseur de l'occultisme et cofondateur de l'Ordre martiniste, né en Espagne, d'un père français et d'une mère espagnole, Gérard Encausse passa toute sa jeunesse à Paris, où il fut reçu docteur en médecine. Avant même de terminer ses études, il s'était donné pour tâche de lutter contre...

  • WILLERMOZ JEAN-BAPTISTE (1730-1824)

    • Écrit par Antoine FAIVRE
    • 706 mots

    Disciple de Martines de Pasqually et lui-même personnage important dans l'histoire de la maçonnerie. Lyonnais, issu de famille franc-comtoise, Jean-Baptiste Willermoz exerce le métier de soyeux ; vite installé à son compte, il dirige une affaire prospère. Dès l'âge de vingt ans, il se passionne...

Voir aussi