LE DÉCLIN DE L'OCCIDENT, Oswald Spengler Fiche de lecture

Oswald Spengler - crédits : ullstein bild/ Getty Images

Oswald Spengler

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Écrivain politique récemment établi à Munich, Spengler (1880-1936) rédige en 1918 le tome I (remanié en 1923) de cette somme historico-philosophique dont la sortie, coïncidant avec l'époque sombre et tourmentée de la défaite allemande, lui valut, pour s'être fait le dépositaire de la tradition de pensée de la décadence, succès et controverses dans les milieux intellectuels d'alors. Critique féroce de la République de Weimar et affichant nettement son hostilité aux idées de démocratie, de parlementarisme et de marxisme qu'il dénoncera dans Prussianité et socialisme (1919), il ajoute à son « bréviaire du pessimisme européen » (A. Reszler) un second volume en 1922 qui, radicalisant la thèse de Herder sur la relativité des phénomènes culturels, décline la partition classique des thèmes de la Kulturkritik conservatrice, et entame une vaste critique de l'idéal progressiste et matérialiste de la civilisation technicienne moderne. Conçu dès 1914, dans ses grandes lignes, l'ensemble – inspiré tant par la philosophie goethéenne des formes et le pessimisme nietzschéen que par l'organicisme, le darwinisme social, le romantisme politique de Burke et la périodisation retenue par certains historiens de l'art du début du xxe siècle (Wölflin, Worringer) – se rapporte à la généalogie du pangermanisme en faisant écho aux velléités idéologiques du peuple allemand et à son glissement insidieux vers le régime nazi.

Déterminisme biologico-historique et solution nationaliste

« Existe-t-il une logique de l'histoire ? [...] Y a-t-il, au fond de tout ce qui est historique, des formes biographiques primaires et universelles ? » Telle est la question générale formulée par l'auteur qui, dans la substantielle introduction du tome I, entend substituer à la pauvreté du schéma linéaire, mécaniste et ternaire traditionnellement réservé au découpage de l'humanité (Antiquité, Moyen Âge, Temps modernes), une méthode d'analyse morphologique et comparée des différentes cultures.

La « révolution copernicienne », qu'elle prétend introduire, consiste à dégager de « l'univers histoire » huit civilisations identifiées à des organismes vivants pour obéir chacune isolément, de leur naissance à leur mort, à un destin naturel inéluctable qui retire tout fondement aux entreprises de reconstruction systématique des filiations et des héritages (chap. ii), et toute validité, qu'il s'agisse de mathématiques (chap. i) ou d'art (chap. iv), au concept de progrès. En effet, « la civilisation est le destin inévitable de toute culture ». Après avoir connu une période ascendante dite « apollinienne », d'intense créativité symbolique, religieuse, philosophique et esthétique dont la Grèce et Rome restent, selon Spengler, les archétypes achevés, elle tombe fatalement, en attendant de disparaître, dans une dynamique « faustienne » caractérisée par la symptomatologie morbide d'un développement scientifique et technique paradoxalement illimité mais finalement entropique (chap. vi).

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La tragédie de l'histoire tient à cette survitalité intellectuelle qui, chassant la pureté religieuse des mythes d'origine, instaure, une fois passé l'optimisme des premières heures, un scepticisme voire un nihilisme lié au règne d'une rationalité tyrannique et morbide qui porte atteinte et détruit de façon irréversible toutes les structures socio-politiques traditionnelles. Témoignent principalement de cette dégénérescence la ville et l'État auxquels l'auteur consacre, à côté de chapitres traitant de la pensée juridique (i) et de la culture arabe (iii), de longs développements dans le tome II. Foyer de tous les vices et de toutes les révoltes, la ville cosmopolite rassemble des masses informes d'individus sans âme, dépossédés, par le pouvoir ploutocratique en place, de toute conscience politique, et aliénés par la quête égoïste et hédoniste de besoins créés de toutes pièces par les médias (chap. ii). Malgré les sursauts de spiritualité et les appels à « une seconde religiosité », la fin de la civilisation s'annonce aussi à travers l'artifice de démocratie qu'a institué de manière toute théorique, pour remplacer la conception organique du pouvoir féodal, la fiction juridico-morale du contrat social, sans prévoir que la mollesse de son autorité favoriserait le retour d'une oligarchie et la domination d'un chef charismatique sur une foule abrutie de « fellahs ».

Or « seul l'avènement du césarisme brise la dictature de l'argent et de son arme politique, la démocratie ». L'absence totale d'espoir de renaissance n'exclut pas la lutte contre les idoles délétères du libéralisme – l'esprit et l'argent –, lutte qui consistera, indique Spengler après le bilan économique et politique noir qu'il dresse dans les deux derniers chapitres, à profiter des faiblesses constitutionnelles de la démocratie pour édifier sur la loi du sang et de la force et autour d'une personnalité exceptionnelle, un État-puissance (Machtstaat) destiné, avec son armée de fonctionnaires, de technocrates et de soldats, à parachever noblement, par l'accomplissement exemplaire de son destin national et de ses ambitions impérialistes, l'histoire de l'Occident.

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Écrit par

  • : docteur en sociologie, D.E.A. de philosophie, maître de conférences à l'université de Paris V-Sorbonne

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