JUSTICE Les institutions

Il était une fois l'injustice... Ainsi faudrait-il commencer par présenter la justice, car c'est par son contraire que la justice se laisse d'abord saisir. Serments trahis, partages iniques, punitions injustifiées tissent dès l'enfance ce sentiment d'injustice que ressent l'homme adulte au spectacle quotidien des injures et des inégalités qui enlaidissent la société des hommes. C'est sur ce terreau que naît pourtant le sens de la justice. L'indignation pourrait certes engendrer la vengeance et le mal répondre au mal, la souffrance à la souffrance. Mais l'indignation est d'abord appel à l'aide, espoir d'une parole, parole consolatrice peut-être, parole réparatrice surtout, cette parole qui fait advenir le sujet et qui est seule susceptible de redonner à chacun le sien, à chacun son bien, à chacun le Bien (suum cuique tribuere, selon la formule du jurisconsute romain Ulpien recueillie par le Digeste, D. 1,1,10). La violence ne vient qu'après, dans le silence ou le déni de justice. La grande conquête de l'humanité est dans cette substitution de la justice à la vengeance, du Bien au Mal. Ainsi que l'écrit Paul Ricœur, « au court-circuit de la vengeance, la justice substitue la mise à distance des protagonistes ». La justice suppose un conflit et un tiers pour départager les intérêts qui se heurtent. La justice est dans cette « médiation » du tiers, réputé impartial, situé à juste distance des protagonistes et qui crée la juste distance entre les protagonistes. Le triangle est le symbole de la justice, si trois (2 + 1) est le chiffre du procès.

Le reste n'est que littérature, histoire du droit et droit comparé dont cette étude ne donnera qu'un aperçu. Disons simplement que la manière dont la justice est rendue n'est pas partout la même et ne se présente pas toujours de la même façon dans le temps. La parole départageante du tiers, qui peut être multiple (la justice est collégiale aussi bien qu'à juge unique), est tantôt parole qui compose, tantôt parole qui tranche, phénomène de conciliation ou phénomène d'autorité. Le tiers qui départage est parfois un tiers qui fait profession de juger (magistrats de carrière), parfois un tiers requis de juger dans un cas particulier (arbitre) ou pour un temps déterminé, plus ou moins long (juges consulaires, jurés d'assises). Protéiforme est également le litige qui appelle jugement, conflit opposant des intérêts privés entre eux (c'est le champ de la justice civile) ou les opposant à la puissance publique, soit à l'initiative de cette dernière (ainsi va la justice pénale), soit à l'initiative du justiciable (d'où naît le contentieux dit administratif). Ajoutons surtout qu'il y a parfois loin de l'idéal à la réalité, de la justice annoncée, comme la Bonne Nouvelle, à la justice prononcée.

Par principe, la justice apparaît ainsi, indissociablement, dans sa double dimension éthique et juridique, morale et légale, justice au grand J, justice au petit j. Élément fondamental du pacte social, elle se révèle sans doute à travers les juges et les tribunaux, les justiciables et leurs avocats, les demandes et les jugements, ce que l'on nomme l'institution judiciaire. Mais on aurait tort de n'y voir que cette architecture juridictionnelle et cette mécanique processuelle. Le service public de la justice n'a de sens qu'au service de la Justice qui est d'abord « une idée et une chaleur de l'âme », selon la belle expression de Camus. Et le juriste Gérard Cornu d'ajouter : « Ce qui est positivement juste », c'est-à-dire « ce à quoi chacun peut légitimement prétendre (en vertu du droit) », doit tendre vers « ce qui est idéalement juste », c'est-à-dire « ce qui est conforme aux exigences de l'équité et de la raison ». Quand raison dort, justice est mal gardée, dit le proverbe. À trop séparer[...]

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Écrit par

  • Loïc CADIET : agrégé des facultés de droit, professeur à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne

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Pour citer cet article

Loïc CADIET, « JUSTICE - Les institutions », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :

Médias

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Autres références

  • JUSTICE (notions de base)

    • Écrit par Philippe GRANAROLO
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    Bien que les enfants aient aisément recours à l’idée de justice en qualifiant souvent spontanément d’« injustes » tous les interdits qui font obstacle à leurs désirs, la notion de justice est l’une des plus complexes et des plus ambiguës qui soient.

    Deux raisons principales expliquent...

  • ALTERMONDIALISME

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    Dans le monde anglo-saxon, en revanche, se développe depuis 2003 l'expression« mouvement pour la justice globale » qui met l'accent sur deux caractéristiques et innovations supposées du mouvement : d'une part, sa dimension transnationale ; d'autre part, son cadrage sur la question de la justice, déclinée...
  • ANTIQUITÉ - Naissance de la philosophie

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    ...rapport à l'infini, mais l'infini est principe pour tout le reste, qu'il « enveloppe et gouverne ». Ce « gouvernement » s'exerce dans le sens de la «  justice », c'est-à-dire de l'équilibre (ou « isonomie ») entre éléments antagonistes qui, soumis à une loi commune, tournent à l'avantage du Tout ce qui...
  • ARGENTINE

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    Mais il ne se contente pas de mesures symboliques :tout l'arsenal juridique qui protégeait les crimes commis durant la dictature est démantelé. Il décide d'une profonde réforme de la Cour suprême. La nomination des juges est désormais soumise au débat public. En outre, tous les juges en poste à son...
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    • Écrit par Pierre AUBENQUE
    • 20 932 mots
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    Le livre V est consacré tout entier à la vertu de justice. Cette vertu, qui consiste à donner à chacun son dû, peut être, dans la tradition platonicienne, définie par référence à un ordre mathématique : ainsi la justice distributive (à chacun selon son mérite) s'exprime-t-elle dans une proportion....
  • BADINTER ROBERT (1928- )

    • Écrit par Laurent WILLEMEZ
    • 1 209 mots
    • 1 média
    C'est à cette époque que François Mitterrand demande à cette personnalité extérieure au Parti socialiste de participer à l'élaboration d'unprogramme politique sur la justice. Mais Badinter n'était pas neuf en politique : candidat malheureux aux législatives de 1967, il connaissait Mitterrand...
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