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MICHELET JULES (1798-1874)

Exegi monumentum...

Cependant, la « philosophie religieuse » que Michelet développait, depuis Le Banquet, dans ces essais fort divers, ne le détournait pas de ses devoirs d'historien. Il poursuivit régulièrement la rédaction de l'Histoire de France (17 volumes publiés en deux temps, de 1833 à 1844, puis de 1855 à 1867). Il lui fut pénible de raconter les temps de l'Ancien Régime. Sa passion républicaine, sa vocation d'évangéliste de la Révolution le desservaient. Il n'eut pas toujours la patience d'analyser l'œuvre des derniers rois de France ; il se complut à évoquer les égarements de leur vie privée, en y recherchant les mobiles de leur politique. Insistance d'autant plus étrange que le Journal même de Michelet reflète la contradiction entre les misères de la vie privée et la grandeur de l'homme public. Sa plume grinçait, son style affichait une nervosité agressive, qui ne manquait pas, il est vrai, d'élégance. Et quel bonheur lyrique, chaque fois que se présentait l'occasion, comme dans l'épisode de la révolte des camisards, de célébrer un sursaut du peuple ! Le rappel de l'œuvre militante des « philosophes » – Montesquieu, Voltaire et surtout Diderot – permit aussi à leur héritier de reconstituer allègrement le « credo du xviiie siècle », qui demeurait à ses yeux le vrai « grand siècle ».

En 1869, Michelet donna à l'Histoire de France une préface digne d'elle. Elle concluait le long dialogue que l'historien avait mené avec la France, présente en personne à ses côtés. Si elle traduisait, comme l'ode d'Horace, la fierté de l'œuvre accomplie, elle avait aussi l'accent mélancolique d'un adieu : « Eh bien ! ma grande France, s'il a fallu, pour retrouver ta vie, qu'un homme se donnât, passât et repassât tant de fois le fleuve des morts, il s'en console, te remercie encore. Et son plus grand chagrin, c'est qu'il faut te quitter ici. » Michelet ne devait pas survivre longtemps à cette séparation. La guerre de 1870 fut pour lui une sérieuse épreuve morale ; elle ruinait la confiance admirative qu'il avait accordée, dès sa jeunesse, à l'Allemagne de Luther, de Herder, de Creuzer et de Grimm. Il servit la patrie vaincue à sa manière, d'une part en protestant solennellement de sa bonne foi, dans La France devant l'Europe (janvier 1871), d'autre part en donnant une suite à l'Histoire de la Révolution : l'Histoire du xixe siècle. Néanmoins, ses forces le trahirent. Il quitta, à Hyères, le 9 février 1874, un monde dont l'évolution accélérée le déroutait et qui, selon lui, « regardait » désormais « vers la fatalité ». Sur sa table, il laissait le tome III de l'Histoire du xixe siècle, entièrement rédigé. Il venait de mourir comme il avait vécu, en travaillant.

— Paul VIALLANEIX

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, docteur ès lettres, directeur du centre de recherches révolutionnaires et romantiques, professeur de littérature française à l'université de Clermont-II

Classification

Pour citer cet article

Paul VIALLANEIX. MICHELET JULES (1798-1874) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Jules Michelet - crédits : Pictures From History/ Universal Images Group/ Getty Images

Jules Michelet

Michelet, T. Couture - crédits : Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

Michelet, T. Couture

Autres références

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    Publiée en 1862 chez Dentu et Hetzel, La Sorcière peut être considérée, après L'Amour (1858) et La Femme (1859) comme le troisième volet d'une trilogie consacrée par Jules Michelet (1798-1874) à la femme, dont il avait également célébré la grandeur dans Jeanne d'Arc (1853)...

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