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KOSUTH JOSEPH (1945- )

Une anthro« pologique »

En réalité, son but avoué dans le texte de 1969, Art after Philosophy, est de donner à l'art les possibilités de répondre à des questions posées par la philosophie, voire de remplacer certaines formes de réflexion que celle-ci ne peut plus développer. Si la recherche menée grâce à une méthode autoréférentielle et tautologique permit à l'artiste de clarifier des questions artistiques et esthétiques qui relevaient non seulement de son œuvre mais de l'art en général, il lui apparut que ce cadre formel devait pouvoir engendrer d'autres virtualités propres à la circulation de ces idées au sein de la culture, et que les questions du sens et de la fonction de l'art concernaient également le groupe social. La nature de l'art, telle qu'elle se définissait auparavant, pouvait certes mettre à jour les « jeux de langage » au sein des œuvres et entre les individus, mais il y manquait la dimension historique et contextuelle dans laquelle ils s'agençaient. Comprenant qu'à travers la question de savoir comment une œuvre fonctionne comme art, on peut également observer comment fonctionne la culture, Kosuth passa donc du processus de la construction du sens, l'œuvre, au système de la représentation du sens : la culture.

En 1975 parut The Artist as Anthropologist, texte programmatique dans lequel Kosuth posa les premiers jalons de ce qui sera une tentative de donner à l'art le statut de « modèle culturel » non téléologique, de telle sorte qu'il puisse, par ses questionnements, critiquer les sphères de la culture et de la vie sociale en y apportant son propre sens. Le regard que porte Kosuth sur la culture l'amène à dégager une logique de cette dernière – qui s'autorégule selon ses propres lois et conventions (marché, critique, affirmations, choix, etc.) – à laquelle il oppose ce qu'il nomme une « anthropologique ». Avec son travail, Kosuth propose sa propre logique tout en se plaçant à l'intérieur du système culturel qu'il critique ; une anthropologique est ainsi opposée à une pure logique du social qui ne tient pas compte de ceux qui participent à sa dynamique. La prise de conscience du fait culturel à travers ses productions et à l'intérieur du contexte sociopolitique est une articulation essentielle dans l'œuvre de l'artiste. Désormais, l'art entretient un rapport médiatisé au monde, de telle sorte qu'il peut détourner l'usage qui est fait de la culture car lui-même est culture.

D'où le rapport constamment dialectique avec l'historicité de l'art (par exemple en intégrant à ses propres œuvres des tableaux de maîtres anciens, comme dans Cathexis, de 1981) et la mise au jour de ses conventions implicites par l'artiste qui intériorise sa propre culture et l'exemplifie. Cette mise en relation de l'art au monde passé et au monde contemporain se fait à travers le langage compris comme une contingence historique mais aussi comme le sol commun et universel à toutes les cultures. L'art est compris comme une construction de modèles calqués sur des formes langagières capables d'intégrer divers champs de l'action humaine, car il est lui aussi constitutif de ce tissu fait des significations véhiculées par le langage.

Parce qu'elle possède la même structure linguistique que les autres sphères humaines, culturelles ou non, la pratique artistique pénètre alors au sein de la culture pour décoder les formulations fausses ou valides qui prétendent à un sens, et propose à son tour sa logique et son propre sens. En s'appropriant les sens divers que l'on retrouve à tous les niveaux de la société, Joseph Kosuth peut faire jouer son œuvre à l'intérieur de ce réseau de sens multiples qui, dès lors, n'est plus seulement descriptif, mais aussi prescriptif, puisqu'il produit des sens nouveaux.[...]

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Écrit par

  • : professeur en esthétique à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne, critique d'art

Classification

Pour citer cet article

Jacinto LAGEIRA. KOSUTH JOSEPH (1945- ) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • DÉMATÉRIALISATION DE L'ŒUVRE D'ART

    • Écrit par Florence de MÈREDIEU
    • 1 630 mots
    ...diminuer l'importance de la chose à regarder ». Pour les tenants ou les proches de l'art conceptuel et du mouvement Art&Language, c'est l'idée qui compte. Joseph Kosuth (né en 1945) travaille sur les relations que les concepts entretiennent avec les objets, juxtaposant par exemple, avec One and Three Chairs...
  • DESSIN CONTEMPORAIN

    • Écrit par Philippe PIGUET
    • 2 084 mots
    • 1 média
    Il en va de même pour l'usage du néon qui permet à certains artistes de constituer aussi bien des phrases que des textes – ainsi de Joseph Kosuth, pionnier de l'art conceptuel, qui a multiplié ce genre de sentences tautologiques –, voire des compositions plus ou moins abstraites qui prennent place...
  • ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Arts et culture) - Les arts plastiques

    • Écrit par François BRUNET, Éric de CHASSEY, Universalis, Erik VERHAGEN
    • 13 464 mots
    • 22 médias
    L'art conceptuel a pour ambition principale de « définir » l'art, selonJoseph Kosuth. Pour reprendre la formule de Sol LeWitt, « c'est l'idée ou le concept qui compte le plus » dans l'élaboration de l'œuvre, les hypothétiques réalisations au sens visuel, tangible et matériel du terme étant secondaires,...
  • LESS IS LESS, MORE IS MORE, THAT'S ALL (exposition)

    • Écrit par Bénédicte RAMADE
    • 1 091 mots

    C'est à la toute fin des années 1960 que la ville bourgeoise et policée de Bordeaux a enfanté Présence Panchounette, un des collectifs artistiques les plus décapants de cette période. Son « noyau dur », formé de Michel Ferrière (1950), Jean-Yves Gros (1947) et Frédéric Roux (1947), a commencé en semant...

Voir aussi