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LEWIS JERRY (1926-2017)

Né d'un couple d'artistes de music-hall, à Newark (New Jersey), le 16 mars 1926, Joseph Levitch exerce toutes sortes de métiers à partir de ses douze ans. En 1944, il met au point un numéro d'imitation de chanteurs et passe avec succès en attraction dans les cinémas de la chaîne Paramount. Contre la volonté de ses parents, il se marie et sera père de six enfants. En juillet 1946, il est « adopté » comme partenaire par le chanteur de charme Dean Martin. Au début, l'entente entre les deux compères est parfaite. C'est l'accès aux clubs les plus luxueux, puis aux shows télévisés et, enfin, un contrat de longue durée avec la Paramount. Leurs rôles ne sont d'abord qu'épisodiques, mais les apparitions de Lewis déclenchent les rires (Ma bonne amie Irma, 1949 ; Le Soldat récalcitrant, 1951 ; Un pitre au pensionnat, 1955). En fait, la prospérité du tandem repose toujours sur des malentendus : Dean Martin, assez fade chanteur, dont théoriquement Jerry n'est que le faire-valoir, se prépare nonchalamment à une carrière de comédien mûr qui culminera avec un rôle quasi tragique (dans Rio Bravo de Hawks, en 1958), cependant que Lewis cache sous ses bégaiements ahuris un auteur complet.

Malgré leur talent créateur et leurs interventions sur leurs scripts, W. C. Fields et même les Marx Brothers avaient dû en passer souvent par des réalisateurs indignes d'eux. La première chance de Lewis s'appelle Frank Tashlin : ce cinéaste adroit et intelligent va rompre l'équilibre publicitaire du tandem en accordant une place prépondérante au comique, dont il laisse jouer les capacités ultra-loufoques en même temps que les tendances sentimentales (Artistes et modèles, 1955 ; Un vrai cinglé de cinéma, 1956). En 1956, alors qu'il est au comble de la popularité après dix ans de travail en commun, le tandem se dissout : Jerry Lewis « doit » encore un certain nombre de films à la Paramount. Mais, désormais tête d'affiche unique, après avoir réalisé six autres films avec Tashlin (dont Le Kid en kimono, 1958, et Jerry chez les cinoques, 1964), il va, en passant au tournage, assumer ses dons multiples.

Personnalité exceptionnelle, Jerry Lewis a appris à utiliser ce qui chez un autre serait un défaut. D'aspect longiligne, secoué (à volonté) par des crises simulant l'épilepsie, il arbore « un sourire touchant de confiance illégitime en un sort qui ne le ménage guère » (Robert Benayoun). Son regard est moins ahuri qu'enfantin, sa diction passe au cri avec une facilité presque inhumaine. Et, cependant, dans les situations les plus propres à mettre en valeur sa « simplesse » d'esprit, il capte non pas la pitié, mais la sympathie, et sous la fragilité se dessine le charme. Extrêmement travailleur, connaissant à fond l'histoire du cinéma, rompu à tous les exercices d'acrobatie et de chorégraphie, passionné de longue date par le cirque, il dispose, comme un Buñuel ou un Fellini, d'un trésor d'inspiration : ses souvenirs d'enfant de la balle et d'adolescent gaffeur. Son travail va consister à tirer de ces virtualités un parti qui dépasse le music-hall ou le cabaret filmé et soit essentiellement cinématographique.

<em>Docteur Jerry et Mister Love</em>, J. Lewis - crédits : Paramount/ Getty Images

Docteur Jerry et Mister Love, J. Lewis

Certes, il ne se prive pas de rendre hommage à ses grands devanciers : Chaplin, Keaton, et aussi Stan Laurel (c'est par admiration pour ce dernier qu'il prendra dans plusieurs films le nom de Stanley). Mais, justement, il suffit d'énumérer ces noms pour voir ce en quoi Lewis est original. Il fait reposer son œuvre personnelle sur un dédoublement permanent, quelquefois manifeste, le plus souvent suggéré ou latent. Le créateur regarde vivre sa créature et commente sarcastiquement sa vie. Dans Docteur Jerry et Mister Love (1963), le créateur fait même la critique, comique puis sérieuse, de sa propre parodie[...]

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Pour citer cet article

Gérard LEGRAND. LEWIS JERRY (1926-2017) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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<em>Docteur Jerry et Mister Love</em>, J. Lewis - crédits : Paramount/ Getty Images

Docteur Jerry et Mister Love, J. Lewis

Autres références

  • BURLESQUE COMÉDIE, cinéma

    • Écrit par Claude-Jean PHILIPPE
    • 3 086 mots
    • 10 médias
    ...familles... que nous retrouvons chez le dernier en date des grands acteurs-auteurs burlesques. Dans The Nutty Professor (Docteur Jerry et Mister Love, 1963), Jerry Lewis enfant pleure dans son parc, tandis que sa mère géante rudoie son gnome de père. Encore une image précise de l'Amérique, autorisée par le seul...
  • COMÉDIE AMÉRICAINE, cinéma

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 5 126 mots
    • 18 médias
    ...Artists and Models (Artistes et modèles, 1955) ; Hollywood or Bust (Un vrai cinglé de cinéma, 1956)]. C'est lui qui développe le personnage de Jerry Lewis, d'abord associé à Dean Martin, entre burlesque et comédie moderne. Les films réalisés par Lewis lui-même se réfèrent également fréquemment...
  • MARTIN DEAN (1917-1995)

    • Écrit par Alain GAREL
    • 816 mots

    Beau garçon au charme indéniable, doté d'un timbre de voix chaud et sensuel, doué d'un authentique talent de comédien et d'un sens de l'humour où siégeait en bonne place l'auto-ironie, Dean Martin fut l'une des grandes vedettes du show-business américain de la seconde moitié du ...

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