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BOSCH JÉRÔME (1450-1460 env.-1516)

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Fortune de l'œuvre

Bosch travaillait-il pour le clergé, ou, comme le pense Fraenger, pour la secte des Homines intelligentiae ? Seule certitude : très tôt, ses peintures figurent chez les princes. Plus qu'aux fidèles, n'est-ce pas à l'humaniste que s'adressent les images et les spectacles de Bosch ? L'autel est moins leur destination que la bibliothèque ou l'oratoire ; ce qui expliquerait en partie certaines variations insolites apportées aux thèmes médiévaux. Sous les formes de la peinture religieuse, c'est une œuvre philosophique que peuvent goûter en Bosch les lecteurs de More, d'Érasme, ou de Machiavel. L'engouement, par toute l'Europe, est vif ; copies et imitations foisonneront. On voit des Bosch chez un cardinal de Venise. On en voit davantage en Espagne : ce que l'histoire explique. Philippe II les accumule. Image légendaire : l'ermite royal de cette basilique bâtie sur le rappel d'un supplice de feu contemple, au mur de sa chambre d'où il entend la messe, le Christ au centre du monde où tournent les Sept Péchés.

Les interprétations

Au xvie siècle, la plupart des commentateurs se montrent surtout sensibles, dans cette œuvre, à l'étrange, à l'horrible, au bizarre. Ils admirent, non sans dégoût parfois, tant d'invention et de fantaisie. Mais le hiéronymite J. de Sigüenza écrit en 1605 : « Les autres cherchent à peindre les hommes tels qu'ils apparaissent vus du dehors ; celui-ci a l'audace de les peindre tels qu'ils sont, au-dedans. »

Philippe II, qui semble avoir désiré posséder l'œuvre entière, a, dans sa bibliothèque, les livres des grands mystiques et, annotées de sa main, les œuvres complètes d'Érasme. Comment douter que Bosch lui fût un guide intellectuel et spirituel ?

L'engouement passé, l'œuvre et la personne de Bosch tombent dans l'oubli. Baldinucci, en 1681, loue son art et son savoir-faire ; en quoi il reprenait l'éloge de Van Mander, dans son Livre de peinture (1604). Le critique le plus favorable ne voit guère en telle Tentation qu'une intention moralisante ; mais on morigène plutôt « le père Sigüenza » d'avoir pris « pour articles de foi » ces « fantaisies licencieuses ». L'âge classique ni celui des Lumières n'inclinent à voir là autre chose qu'extravagances. Le romantisme lui-même l'ignore. Vers 1880, l'œuvre apparaît cauchemar d'un fou ou d'un possédé.

L'amas de textes consacrés à Bosch par notre époque est un reflet assez fidèle des aventures modernes de la critique. L'érudition et la science, d'abord, s'appliquent à distinguer les copies des originaux, le faux de l'authentique, et nous assurent du peu que nous pouvons savoir. Puis viennent les vagues diverses des interprètes. « Un prédicateur en vêtements laïques », dit Justi. Bax éclaire maintes images par le folklore, les proverbes flamands, sources de métaphores prises au pied de la lettre. Focillon voit, au-delà du « grand poète comique », « le dessous du Moyen Âge qui se vide », – Moyen Âge, ou pré-Réforme et Renaissance ? A. Chastel, plaçant Bosch et Vinci « comme aux deux extrémités d'un même monde », écrit : « Cette grande démonstration d'irréalisme agressif et pressant ne pouvait avoir lieu qu'autour de 1500, c'est-à-dire en plein essor de la Renaissance. » Précédemment, dans un essai intitulé La Tentation de saint Antoine ou le Songe du mélancolique, A. Chastel avait mis en évidence, chez Bosch, le thème de la « mélancolie » saturnienne : thème philosophique et mystique.

Ésotérisme, psychanalyse, surréalisme : ces sibylles se font ici particulièrement loquaces. « Visionnaire intégral », dit André Breton ; et l'on projette sur Bosch l'ombre des Dali et des Ernst : méthode[...]

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Pour citer cet article

Claude-Henri ROCQUET. BOSCH JÉRÔME (1450-1460 env.-1516) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Médias

<it>Le Portement de Croix</it>, J. Bosch - crédits :  Bridgeman Images

Le Portement de Croix, J. Bosch

Le Jugement universel, J. Bosch - crédits : Nimatallah/ AKG-images

Le Jugement universel, J. Bosch

L'Escamoteur, J. Bosch - crédits : Bettman/ Getty Images

L'Escamoteur, J. Bosch

Autres références

  • JÉRÔME BOSCH (expositions)

    • Écrit par
    • 1 109 mots
    • 1 média

    Les anniversaires sont toujours d’excellents prétextes pour des célébrations. Dans le cas du peintre néerlandais Jérôme Bosch, mort en 1516 à Bois-le-Duc ('s-Hertogenbosch en néerlandais), la création du Bosch Research and Conservation Project (BRCP) a permis à une équipe de chercheurs...

  • BRUEGEL L'ANCIEN PIETER (1525 env.-1569)

    • Écrit par
    • 3 189 mots
    • 7 médias
    Le démoniaque tient pourtant dans cette œuvre une place importante. Dessinateur, Bruegel a popularisé les motifs de sorcellerie familiers à Bosch et à son école. La Dulle Griet ou Margot l'enragée pourrait passer pour un Hommage à Bosch : l'épée en main et sous le bras sa batterie de cuisine,...
  • CONTEXTE, arts

    • Écrit par
    • 1 039 mots

    La notion de « contexte », apparue conjointement à celle de « milieu » dans les préoccupations positivistes des années 1860, est devenue centrale en histoire de l'art au cours de la seconde moitié du xxe siècle, sans toutefois susciter de véritable théorisation. Établi selon des paramètres...

  • FANTASTIQUE

    • Écrit par , et
    • 21 027 mots
    • 17 médias
    Une fois lancé sur cette piste, est-il possible de s'arrêter si vite ? Jérôme Bosch, que beaucoup tiennent pour le peintre fantastique par excellence, ne procure pas à tout le monde l'impression d'étrangeté irréductible, qu'il est après tout raisonnable de proposer, jusqu'à plus ample informé, comme...
  • FRAENGER WILHELM (1890-1964)

    • Écrit par
    • 666 mots

    Historien d'art allemand que Roger Lewinter, son traducteur en France, situe aux côtés d'un Wölfflin ou d'un Friedländer, mais reste encore peu connu en Allemagne. Wilhelm Fraenger a évolué du Kunstgeschichte (histoire de l'art) au Volkskunde (histoire des religions, art...

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