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DUPÂQUIER JACQUES (1922-2010)

Avec Jacques Dupâquier, décédé le 23 juillet 2010, disparaît une figure phare de la démographie historique. Cet homme de caractère et de convictions avait trouvé sa voie sous l'effet des circonstances. Né le 30 janvier 1922 à Sainte-Adresse (Seine-Maritime) dans une famille de la bourgeoisie industrielle, il envisage initialement, face à la menace allemande, une carrière d'officier de marine. Après la débâcle, le jeune patriote se réoriente vers l'enseignement de l'histoire afin de transmettre les valeurs de son pays. Il participe aux premières manifestations contre l'occupant, telles la commémoration du 11 novembre 1940 ou la fronde contre l'inauguration en Sorbonne, en 1942, de la chaire dite « d'histoire du judaïsme » par l'antisémite Henri Labroue. Pour échapper au Service du travail obligatoire, il se fait embaucher par un oncle, en 1943, dans la mine de fer de Mancieulles en Lorraine. Il y découvre la solidarité ouvrière et l'engagement communiste. Enseignant dans le secondaire après ses études à l'École normale supérieure de Saint-Cloud, il parcourt les pays du bloc soviétique et en rapporte un matériau photographique dont il fera don, en 2008, à l'iconothèque russe de l'E.H.E.S.S.

La déstalinisation le touche avec une intensité particulière. Sa douloureuse prise de distance avec le Parti communiste est toutefois adoucie par sa découverte de la recherche historique et des archives. Sous l'égide de Georges Lefebvre, il publie, en 1956, La Propriété et l'exploitation foncières à la fin de l'Ancien Régime dans le Gâtinais septentrional (P.U.F.), ouvrage qui mesure l'ampleur des inégalités rurales à la veille de la Révolution. Ernest Labrousse l'introduit, en 1962, au C.N.R.S. Trois ans plus tard, il devient l'assistant de Marcel Reinhard, titulaire de la chaire d'histoire de la Révolution française en Sorbonne. C'est sous sa direction qu'il entame une thèse sur La Population rurale du Bassin parisien à l'époque de Louis XIV, qu'il soutiendra en 1977. Publié en 1979, l'ouvrage fait date par sa méthode et par l'ampleur du sujet. Il y avance l'idée d'une régulation homéostatique des populations d'Ancien Régime, par la nuptialité au moins autant que par la mortalité.

Entre-temps, Dupâquier a rallié, en 1968, la VIe section de l'École pratique des hautes études (future E.H.E.S.S.), où il est élu directeur d'études en 1970. Aux côtés de Pierre Chaunu et, peu après, de Jean-Pierre Bardet, il ancre la démographie historique à l'histoire, alors qu'elle avait initialement rayonné autour de l'Institut national d'études démographiques. Il fonde, en 1972, le Laboratoire de démographie historique, où il met en œuvre une stricte division et hiérarchie du travail, et le rattache en 1979 au Centre de recherches historiques de l'E.H.E.S.S.

Vient alors l'ère des publications et des grandes enquêtes. Dans les années 1980, il dirige l'« enquête TRA » qui, par la reconstitution des généalogies descendantes de trois mille couples mariés en France à l'aube du xixe siècle, documente les mutations de la société française à l'échelle des hommes et des familles. Avant son élection à l'Académie des sciences morales et politiques en 1996, Dupâquier dirige une monumentale Histoire de la population française (P.U.F., 1988), à la fois synthèse des découvertes de la démographie historique et première somme sur le sujet depuis celle d'Émile Levasseur un siècle plus tôt.

Tout en poursuivant son œuvre d'historien, Dupâquier se consacre à ses nouveaux engagements. Mû par la hantise de l'effondrement d'un Occident menacé de dépopulation, il est le cofondateur, en 2000, à l'Académie, d'un Institut de géopolitique des populations où il prône,[...]

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Paul-André ROSENTAL. DUPÂQUIER JACQUES (1922-2010) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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