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IRONIE

Figure de rhétorique et forme de plaisanterie, l'ironie se situe d'emblée dans un champ intentionnel par l'implicite qu'elle renferme et qui détermine sa propre condition d'existence. Si elle consiste communément à faire entendre à l'interlocuteur le contraire de ce qu'énonce l'auteur, elle se démarque de l'humour par la visée qu'elle soutient vis-à-vis du monde extérieur et la notion de sérieux qui s'y rattache.

Les romantiques allemands y ont été particulièrement sensibles lorsque, après l'exaltation des fantaisies de l'imagination (L. Tieck), ils traduisirent la défaite de celle-ci par la réalité, sous la forme d'une vaste moquerie jetée par le monde à la face de l'humanité (F. Schlegel, Solger). Le sérieux dont ils font preuve réside dans leur identification avec ces désordres extérieurs ou, au contraire, dans l'attitude d'opposition qu'ils adoptent envers eux ; c'est alors le triomphe de la nature vengeresse sur la folie des présomptions humaines qui induit les romantiques à présenter leurs convictions sous des apparences contraires et à savourer cette duplicité.

Kierkegaard - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Kierkegaard

Étudiant ce renversement, Kierkegaard décrit l'ironie comme une figure de style pour laquelle le phénomène, telle la parole (ordet), n'est pas l'essence (vaesenet) mais son contraire ; c'est une conception du monde, dit-il, qui vise à mystifier l'entourage, non pas tant pour passer inaperçu que pour inciter les autres à se démasquer. Voilà une définition de l'ironie qui veut dépasser le plaisir de la résignation des romantiques jusqu'à l'exigence d'idéalité de Socrate, rétrospectivement. C'est pourtant sur ce dernier que s'appuie Kierkegaard dans la mesure où Socrate a donné l'occasion, pour la première fois, à la subjectivité de se manifester par rapport au déroulement historique universel, que les romantiques ont repris à leur compte. L'exclamation de Thrasymaque sur « l'ironie habituelle de Socrate », qui interrogeait en feignant l'ignorance, n'a pas tant inspiré Kierkegaard sur la mise en scène de l'intention vis-à-vis de l'extérieur que sur l'espace secret et inviolable que se ménageait l'auteur. Ce qui intéresse Kierkegaard, en effet, dans ce jeu ironique, c'est la mesure du détachement de l'auteur qu'il reflète et, par là même, la part de liberté qu'il se réserve. C'est alors dans cette liberté encore esthétique qu'offre cette position vis-à-vis du monde que réside la catégorie du possible chez Kierkegaard ; or, ce possible a pour fonction d'évoquer un perpétuel commencement et c'est ce dernier même qui possède un charme particulier et qui donne à l'ironiste un plaisir qu'il aura du mal à négliger pour accéder au stade supérieur de l'éthique, lieu de son insertion dans le monde. Comme l'humour, l'ironie ne constitue pas une fin en soi, une position à sauvegarder, mais n'est qu'une faculté : celle de pouvoir « vivre poétiquement », c'est-à-dire de considérer la réalité comme une possibilité, sans que l'adhésion à une loi non plus universelle, cette fois, mais simplement commune intervienne.

C'est donc d'un plaisir qu'il s'agit dans l'ironie, plaisir qui permet à l'auteur d'éviter de s'engager dans des paroles trop conséquentes par rapport à une loi sociale qu'il peut ainsi se permettre de contourner. De même que le mot d'esprit chez Freud, l'ironie, par l'agressivité qu'elle comporte, tendrait à éviter une dépense d'inhibition et à engendrer un « gain de plaisir » (Lustgewin, Entbindung grosserer Lust), fruit de l'activité du moi, au travers de l'arrangement rhétorique. Ce caractère agressif qu'elle[...]

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Pour citer cet article

Marie-Claude LAMBOTTE. IRONIE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Kierkegaard - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Kierkegaard

Autres références

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