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INDO-EUROPÉENS (archéologie)

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L'arbre des langues et des gènes

Colin Renfrew va contourner ces difficultés en devenant partie prenante d'un modèle plus médiatisé encore, celui de l'origine unique des langues et des gènes. À partir de la fin des années 1980 en effet, une hypothèse ancienne (elle remonte à la Bible !), celle d'une origine unique de toutes les langues du monde, est développée par les linguistes américains Joseph Greenberg et Merritt Ruhlen, sous la forme d'un vaste arbre généalogique. Ils confrontent bientôt leurs résultats à ceux d'une équipe de généticiens américains rassemblés autour de Luigi Cavalli-Sforza, qui pense pouvoir réunir l'ensemble des humains actuels en un arbre généalogique unique. La confrontation des deux arbres montrerait des coïncidences frappantes (mais aussi des contradictions). L'une des étapes de cette diffusion des gènes et des langues serait la formation, vers — 10 000 ans avant notre ère, d'une population de proto-agriculteurs parlant une langue particulière, dite « nostratique » (une hypothèse faite dès le début du xxe siècle par le Danois Holger Pedersen). Avec l'invention de l'agriculture qui lui permet un accroissement démographique rapide, cette population se répand bientôt dans diverses directions, diffusant à chaque fois l'agriculture et donnant en même temps naissance à différents groupes de langues, les langues hamito-sémitiques au Proche-Orient, les langues indo-européennes en Europe, les langues caucasiennes dans le Caucase, les langues élamo-dravidiennes en Mésopotamie puis dans le sud de l'Inde, voire les langues finno-ougriennes en Eurasie.

Ce modèle facile à comprendre et qui renoue avec un mythe ancien se heurte en fait à de grandes difficultés méthodologiques. S'il est évident que tous les humains actuels remontent aux premiers australopithèques africains vivant il y a 6 millions d'années, et si les conditions de possibilités du langage, à la fois sur le plan physiologique et sur le plan cognitif, se mettent peu à peu en place au cours de l'évolution d'Homo erectus, entre 1 million et 500 000 ans environ, les traces, dans les langues actuelles, du langage qui pouvait être parlé il y a 100 000 ans sont évidemment infimes. Les probabilités statistiques de trouver, parmi les quelque 6 000 langues recensées dans le monde, entre telle ou telle de ces langues un mot à sonorité voisine et à sens pas trop éloigné, sont, quant à elles, énormes. C'est pourquoi bien des linguistes excluent la possibilité de pouvoir reconstruire la langue originelle de toute l'humanité, si elle a jamais existé. Les mêmes problèmes se posent pour la génétique. Celle-ci montre en effet que des populations géographiquement voisines ont en général un patrimoine génétique proche, ce qui est assez normal. Il y a donc, au premier abord, une certaine coïncidence, dans une zone géographique donnée, entre les langues qui y sont parlées et le patrimoine génétique des populations qui s'y trouvent. Mais cette coïncidence s'estompe dès que l'on rentre dans les détails. Ainsi les Éthiopiens, classés dans le même groupe linguistique « afro-asiatique » (lui-même branche du nostratique) que les Africains du Nord, en sont extrêmement éloignés génétiquement ; Chinois et Tibétains, qui parlent des langues fort proches, sont très éloignés génétiquement les uns des autres. Symétriquement, les Hindous locuteurs de langues indo-européennes sont génétiquement bien plus proches des Hindous locuteurs de langues dravidiennes, qu'ils ne le sont des autres locuteurs de langues indo-européennes, Iraniens ou Européens. De fait, les deux hypothèses, l'arbre généalogique de tous les gènes humains et l'arbre généalogique de toutes les langues humaines, discutables chacune dans son champ, se confortent l'une et l'autre dans ce qui pourrait ressembler à un cercle vicieux[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université Paris-I-Panthéon-Sorbonne et à l'Institut universitaire de France

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Pour citer cet article

Jean-Paul DEMOULE. INDO-EUROPÉENS (archéologie) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

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Émile Benveniste - crédits : AFP

Émile Benveniste