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INDIVIDUALISME ET HOLISME

Une opposition impertinente

La sociologie scientifique s'est constituée contre ce système de pensée. Loin de prendre cette notion comme le point de départ de l'analyse sociologique, Émile Durkheim la prend comme objet pour déterminer les conditions sociales de son apparition. Il la réfère à l'accroissement de la division du travail social qu'il assimile à un processus d'individuation au terme duquel les agents empiriques sont constitués comme des « êtres de raison », des sujets normatifs des institutions, de sorte qu'on ne saurait, selon lui, « déduire l'individu de la société ». L'« individu » comme principe actif de l'unification du moi est le résultat d'un travail d'institutionnalisation dont le nom propre et la signature sont les formes les plus connues. À l'individu qui est à lui-même son propre principe, les sociologues opposeront l'homme social. Mais le « social » ne se réduit pas au collectif, l'opposition entre phénomènes individuels et collectifs n'étant pas pertinente puisque le « social » s'institue de façon multiforme : à l'état d'objets matériels (livres, mobiliers, outils) et dans les institutions (l'École, l'Église), dans des mécanismes (marchés économiques) et dans des dispositions et des manières d'être durables qui résultent d'un travail d'apprentissage (explicite ou implicite) et d'un processus d'incorporation, ce que Pierre Bourdieu appelle l'habitus.

Cependant, l'opposition entre l'individuel et le collectif est tellement instituée dans la division des disciplines, dans les catégories cognitives ordinaires et savantes, qu'un sociologue comme Norbert Elias doit, par exemple, recourir à des métaphores, celles du filet et de la maison, de la danse et de la musique ou encore de la conversation pour rappeler que toute analyse doit partir de la « structure de l'ensemble pour comprendre la forme de ses différentes parties ». Elle structure également les problématiques et l'espace de production en sciences sociales : individualisme et holisme, sujet et objet, intérieur et extérieur, autant de schèmes binaires dont le fondement est plus politique que théorique, chacun des termes renvoyant à des philosophies sociales antagonistes, comme l'opposition entre déterminisme et liberté, voire politique, comme celle entre libéralisme et collectivisme. On peut pousser plus loin l'analyse des inconscients de classe qui sont généralement au principe de l'usage de ces catégories : on est « individualiste » pour soi et « déterministe » pour les autres, « sujet » pour soi et « objet » pour les autres. Michel Foucault voyait même dans le processus d'individualisation l'exercice d'un pouvoir « continu », « précis », « atomique », pouvoir différencié mais aussi différenciant afin de décomposer les collectifs, le pouvoir craignant la force des groupes mobilisés.

La notion de champ, que l'on peut définir comme un espace de relations objectives entre des individus en compétition pour un enjeu spécifique, a été utilisée par Pierre Bourdieu pour rappeler que le véritable objet d'une science sociale n'est pas l'individu même si l'on ne peut construire un champ qu'à partir des individus puisque l'information nécessaire pour l'analyse statistique leur est inévitablement attachée. Aussi est-ce le champ qui doit être au centre des opérations de recherche. Ce qui n'implique pas que les individus n'existent pas. Mais la sociologie les reconstruit en tant qu'agents socialement constitués comme agissant dans le champ, du fait qu'ils possèdent des propriétés nécessaires pour y être efficaces.

— Rémi LENOIR

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-I, directeur du Centre de sociologie européenne

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Pour citer cet article

Rémi LENOIR. INDIVIDUALISME ET HOLISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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