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INDE (Arts et culture) Le cinéma

Le cinéma indien reste pour beaucoup de gens associé à un nom, celui de Satyajit Ray, l’auteur du Salon de musique (1958), et à un record : 1907 films en 2015, qui font de ce pays le plus gros producteur de films du monde. C’est là son double visage. D’un côté, la tradition d’un cinéma d’auteur, d’artistes, associé à un nom (Ray), à une région précise, le Bengale, et à une ville, Calcutta, modèle qui a ensuite favorisé la constitution d’un cinéma régional, surtout au sud de l’Inde. De l’autre, un cinéma musical commercial, chanté et dansé, qui a pour berceau historique une autre ville, Bombay (« Bollywood » est la contraction de Bombay et de Hollywood) et une autre langue, l’hindī. Après avoir connu son âge d’or dans les années 1950, l’actuel cinéma de Bollywood, qui cumule les gros succès au box-office même s’il est minoritaire en volume de production (360 films en 2017), outre ses territoires de diffusion traditionnels (l’Asie du Sud-Est, l’Afrique noire et l’Afrique du Nord, laissant au passage une empreinte durable sur les films musicaux des studios du Caire), connaît désormais un regain d’intérêt en Occident. Le succès en France de Devdas(2002), avec les stars Aishwarya Rai et Shahrukh Khan, a contribué à cette tendance. Ce mouvement de balancier entre les artistes, d’un côté, et le film musical populaire de qualité, de l’autre, n’est pas nouveau : il constitue bel et bien le socle historique de cette cinématographie.

Le miroir d’une nation

Lorsque Satyajit Ray se lance en 1952 dans l’aventure de PatherPanchali et tourne en décors naturels avec des acteurs non professionnels, rompant ainsi avec les lois du cinéma commercial (chansons et danses, tournage en studio, star-system), il ignore qu’il creuse irréversiblement l’écart entre un seriouscinema (un cinéma dit d’auteur, montré dans les grands festivals internationaux, reconnu par la critique) et un cinéma escapist, ou d’évasion, extrêmement populaire. Si le Bengale a contribué au rayonnement international du cinéma indien, Calcutta, après avoir fait jeu égal avec Bombay et Madras, les deux grands centres de production, est devenu un pôle minoritaire. Avec quarante-deux films produits en 1992, le Bengale représente actuellement 5 p. 100 de la production nationale.

S’il fallait trouver un fil conducteur au sein de cette dichotomie visible entre l’art et l’industrie, la musique pourrait être le dénominateur commun. Satyajit Ray a fait appel aux grands noms de la musique indienne (Ravi Shankar, Bismillah Khan, Ustad Vilayat Khan) avant d’écrire lui-même, dès 1961, la musique de tous ses films. De plus, le film musical (chansons et danses) ne représente pas un genre parmi d’autres dans la production commerciale : il est le genre qui surdétermine tous les autres. Qu’il s’agisse d’un film historique, mythologique, religieux ou d’aventures, tout film indien, d’une durée standard d’environ trois heures (bien que la tendance soit de le raccourcir), contient au moins six chansons et six danses. Les séquences musicales sont d’une extrême inventivité : on peut danser sans chanter, ou vice versa. Plus important encore, ce type de séquence peut tout autant être dans la continuité narrative du film (avec l’exploration des sentiments par la chanson notamment) que s’en dissocier, la plongée dans les fantasmes de l’un des protagonistes étant une forme récurrente. Dans les séquences fantasmées, le décor, les costumes, tout peut être absolument étranger au reste du film. Ainsi, les séquences musicales sont bien souvent le lieu où l’on peut juger des qualités de mise en scène du réalisateur. Elles constituent un passage obligé certes, mais aussi le lieu d’une inventivité toujours renouvelée. Dans un pays qui a aimé très tôt les images animées et leur a voué un culte indéfectible, le cinéma reste aujourd’hui encore – autre phénomène d’exception – le médium dominant, celui qui offre à son public le miroir emblématique de la nation. Partout ailleurs (Amérique, Europe, Japon), la télévision assume ce rôle. Ce qui explique que le cinéma indien soit à la fois porteur de tous les espoirs (la fiction édifiante) et de tous les oublis (le réalisme n’est pas son fort), tout en étant le vecteur essentiel des valeurs morales. Malgré la marque étroite laissée par la censure, les principaux tabous de la société indienne – la religion, la politique, la violence, l’érotisme et le sexe – se lisent en creux dans le discours de chaque film, nous offrant le spectacle d’un inconscient collectif codifié par les archétypes du genre. Par ailleurs, le cinéma indien a très tôt développé un langage de la métaphore et de la suggestion, qui lui a permis d’outrepasser les cadres posés par les comités de censure. Pour ne donner qu’un exemple, les scènes de « sari mouillé », qui placent l’héroïne sous la pluie ou une cascade, permettent de l’érotiser sans la dénuder, sa tenue lui collant au corps malgré elle. Elle est bien souvent à ce moment-là observée par le héros. Ce type de scène est devenue un classique, qui ne cesse de prendre des formes nouvelles à chaque période du cinéma indien. On citera par exemple la très sensuelle chanson « Bhor Bhaye Panghat Pe » dans SatyamShivamSundaram (Raj Kapoor, 1978), qui fit scandale.

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Écrit par

  • : docteure en études cinématographiques et audiovisuelles
  • : critique de cinéma, maître de conférences en histoire et esthétique de cinéma, université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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