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CARTIER-BRESSON HENRI (1908-2004)

« La tête, l'œil et le cœur »

Retenir son souffle, photographier et « mettre sur la même ligne de mire la tête, l'œil et le cœur » afin de « signifier » le monde, devient pour le photographe une façon de vivre, et l'essence de ses convictions artistiques. Celles-ci formeront le socle d'un classicisme photographique équilibrant instinct, intelligence et émotion, façon de dévoiler le monde en noir et blanc qui influencera durablement ses pairs, pour plusieurs générations.

Après-guerre, Cartier-Bresson s'intéresse plus particulièrement à l'Asie. L'Inde d'abord, dont il dit qu'elle est un pays fait pour la photographie : il y réalise, en 1948, les derniers portraits de Gandhi, peu avant son assassinat, puis témoigne de l'ampleur du choc pour la population, sensible au cours des funérailles du Mahātmā. En Chine ensuite, il se mêle à la foule lors des derniers jours du Kuomintang et au moment de l'entrée de Mao à Pékin. En U.R.S.S. enfin, il est, en 1954, le premier photographe occidental autorisé à circuler, après la mort de Staline, faisant découvrir aux lecteurs de magazines, grâce à ses reportages, la face humaine et socialiste d'un pays très mal connu.

En Turquie, au Japon, en Égypte, en Israël, à Cuba, devant le Mur de Berlin, au côté de Picasso ou de Miró : partout Cartier-Bresson est au bon endroit, au bon moment, « moins intéressé par l'événement officiel dans toutes ses pompes que par son reflet immédiat dans la rue » (Assouline). Qu'il s'intéresse aux visages, aux paysages, aux bourgeois, aux passants, aux ouvriers des kolkhozes, aux célébrités, les images qu'il donne de la comédie humaine, au-delà des frontières, manifestent avant tout l'acuité et les nuances d'une vision sans pareille.

Henri Cartier-Bresson – HCB pour les initiés –, devient un synonyme d'excellence. En 1952, il publie son premier livre, Images à la sauvette, aux éditions Verve à Paris. La couverture est dessinée par Matisse et Cartier-Bresson rédige une longue préface dont le titre, « L'Instant décisif », marquera durablement de son empreinte la philosophie d'un art jusqu'alors très empirique Dans le seul texte théorique que le photographe ait jamais écrit, certains énoncés prendront, malgré lui, valeur de référence : « La photographie est pour moi la reconnaissance simultanée, dans une fraction de seconde, d'une part de la signification d'un fait, et de l'autre, d'une organisation rigoureuse des formes perçues visuellement qui expriment ce fait. »

À la fin de sa vie, l'artiste préférait en revenir à une définition plus légère, parfaitement en accord avec son style : « Seule la mesure ne dévoile jamais son secret. » Un détachement quasi oriental et amusé lui faisait également dire : « Je n'ai ni message ni mission, seulement un point de vue. » La mécanique de son œil était si parfaite qu'il n'est pas sûr qu'Henri Cartier-Bresson ait jamais pris un jour une mauvaise photographie. Surtout, au-delà de ce talent, il aura su rencontrer pleinement une époque où la photographie devient un mode d'expression privilégié pour ses contemporains. C'est pourquoi les photographies d'Henri Cartier-Bresson ne sont pas seulement à l'image de son temps, mais en resteront l'image même.

— Martine RAVACHE

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Pour citer cet article

Martine RAVACHE. CARTIER-BRESSON HENRI (1908-2004) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • HENRI CARTIER-BRESSON / WALKER EVANS. PHOTOGRAPHIER L'AMÉRIQUE (exposition)

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    La fondation Henri Cartier-Bresson célébrait, du 10 septembre au 21 décembre 2008, le centenaire de la naissance du photographe en confrontant sa vision de l'Amérique à celle qu'en avait son contemporain Walker Evans. Deux regards que rassemble d'abord la volonté de rompre avec les...

  • FRANCK MARTINE (1938-2012)

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