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DORT BERNARD (1929-1994)

Bernard Dort est né à Metz en 1929. La carrière de cet ancien élève de l'E.N.A. passé par Sciences Po ne fut jamais qu'une subtile, talentueuse et studieuse école buissonnière au profit de l'art du théâtre et de sa pédagogie : collaborateur de quelques publications prestigieuses, des Temps modernes et des Cahiers du Sud, dans les années 1950, aux Cahiers de la Comédie-Française, en passant par Le Monde dimanche de 1980 à 1984 ; critique de théâtre — mais également d'opéra — de rayonnement international ; enseignant, à partir de 1962, à l'Institut d'études théâtrales de la Sorbonne, qu'il dirigea et où, professeur admiré, suivi par des « élèves » ayant nom Valère Novarina, Patrice Chéreau, Jean-Pierre Vincent, Jacques Lassalle..., il joua un rôle considérable de « passeur » entre l'université et le monde du théâtre ; professeur de dramaturgie (dramaturgie pratique, dramaturgie de plateau, discipline qu'il a introduite en France) ; conseiller littéraire au Théâtre national de Strasbourg et traducteur, pour Jacques Lassalle, de pièces comme Woyzeck de Büchner ou Emilia Galotti de Lessing.

L'universalité de cette fonction d'« éveilleur » ne doit faire oublier ni l'originalité de la pensée ni la radicalité du combat. À une époque où le mot «  engagement » fait loi parmi les intellectuels progressistes, Bernard Dort — qui ne négligera jamais le politique et, par exemple, signera le Manifeste des 121 — participe dès le premier numéro (mai-juin 1953), au côté de Roland Barthes, à l'aventure de la revue Théâtre populaire. Paradoxe d'une publication au lectorat ultraminoritaire mais qui va fomenter un profond renouvellement, voire une révolution du théâtre français. À Théâtre populaire, la critique ne se contente pas de suivre l'actualité théâtrale ; elle l'éclaire en la confrontant avec les péripéties de l'histoire comme avec les conditions — politiques, sociales, économiques — de sa propre production et, dans une certaine mesure, elle la devance.

Avec un réel talent polémique, Dort et Barthes vont mettre le théâtre français au pied du mur et le sommer de choisir entre un art bourgeois de divertissement et un art civique et critique qui réaliserait la fusion du plaisir et de l'intelligence du monde réel. Soutien, de plus en plus conditionnel il est vrai, à Vilar et au T.N.P., jugés trop unanimistes ; évaluation assez critique (en particulier lorsque la dramaturgie absurdisante de Ionesco se charge d'un message « humaniste ») de l'avant-garde des années 1950 ; admiration pour Genet et dialogue maintenu avec Sartre ; solidarité avec le jeune Planchon, dont les mises en scène conjuguent réalisme et théâtralité, avec Adamov en rupture de dramaturgie métaphysique et à la recherche d'une langue théâtrale qui parle à la fois l'individuel et le social, le psychique et le politique : telles sont les orientations de la revue Théâtre populaire où l'on reconnaît la marque de Bernard Dort. Avec, bien sûr, au sommet de l'édifice, l'introduction, consécutive à l'« illumination » des représentations du Berliner Ensemble à Paris en 1954, de Brecht et de son « système ». Mais, pour Dort, cette illumination est en quelque sorte double et procède tout autant de spectacles tels La Vie de Galilée et Barouffe à Chioggia montés par Giorgio Strehler au Piccolo Teatro de Milan.

Plus tard, c'est dans ses livres, son fameux Lecture de Brecht ou des recueils d'« Essais sur le théâtre » aux titres significatifs (Théâtre public, Théâtre réel...), que Bernard Dort va poursuivre le combat brechtien, mais en l'élargissant (Artaud apparaît souvent en contrepoint de Brecht et Beckett ne tarde pas à être réévalué) et en l'expurgeant de toute trace de dogmatisme. Le[...]

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