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DEPARDIEU GÉRARD (1948- )

L’art de l’excès

Gérard Depardieu est par essence un homme de la démesure. Il n'a plus rien à prouver, et rien ne semble l'arrêter. Cet aspect l’a beaucoup desservi. Petit à petit, les médias, plus que ses films, ont pris l’habitude d’évoquer ses frasques (alcoolisées), ses multiples activités extracinématographiques et ses protestations d’amitié à l’égard de Fidel Castro, du président tchétchène Ramzan Kadyrov, et surtout de Vladimir Poutine. Son installation annoncée en 2012 d’abord à Néchin en Belgique, puis en Russie, a choqué une grande part de son public. Comme le rejet de son passeport français pour accepter la nationalité russe. S’il assure avoir toujours aimé la Russie, sa terre, ses écrivains, il ne cache pas que son choix est dicté par le refus de payer des impôts exorbitants en France... Il s’explique dans le prière d’insérer d’Innocent : « Je revendique complètement ma connerie et mes dérapages. Parce qu'il y a là quelque chose de vrai. [...] Je ne maîtrise rien, je ne fais que suivre, et parfois supporter mon amour de la vie et des autres. [...] Je ne cherche pas à être un saint. Je ne suis pas contre, mais être un saint, c'est dur. La vie d'un saint est chiante. Je préfère être ce que je suis. Continuer à être ce que je suis. Un innocent. »

Ces dernières années, la filmographie de Depardieu n’a plus rien à voir avec celle des décennies précédentes. Il reste que, quelle que soit la valeur intrinsèque du film choisi, le jeu de Depardieu demeure remarquable, la voix surtout. Mais, parfois, le physique ne correspond plus au personnage. Ainsi dans Le Divan de Staline de Fanny Ardant (2017). Si l’« ogre » Depardieu ne néglige pas les films rentables (les Asterix...), ses choix sont aussi souvent dictés par le souci d’aider un film qui ne se serait pas fait sans lui, d’aider un ami ou une amie (Fanny Ardant), et parfois de jouer pour jouer. Ainsi, personne n’avait envie d’interpréter le rôle de Devereaux (alias Dominique Strauss-Kahn) dans Welcome to New York (2014), d’Abel Ferrara, inspiré des événements du Sofitel de New York. Depardieu relève le défi, trouvant le personnage « jouable » avant de regretter cette aventure au vu du résultat.

La production des années 2000 ne manque pourtant pas de réussites. Mais Depardieu n’y joue pas le premier rôle, comme dans L’Instinct de mort (Jean-François Richet, 2008) ou Potiche (François Ozon, 2010)... Mis à part les films souvent inconnus en France tournés en Russie, au Kazakhstan, Roumanie, Bulgarie, le meilleur de cette période récente prend sa source dans les préoccupations personnelles de l’acteur. Ainsi, dans Mammuth, il retrouve dans le personnage du prolétaire Pilardosse – qui prend sa moto pour récupérer ses bulletins de paie en vue de sa retraite – son propre père, surnommé « le Dédé ». « Peut-être ma plus belle aventure depuis mes débuts d’homme libre », commente l’acteur (Ça s’est fait comme ça). Le film est dédié à Guillaume Depardieu, ce fils mort en 2008 qu’il se reprochera toujours de n’avoir pas su aimer ni aider. Les rapports difficiles entre ce père et ce fils inspiraient également Aime ton père, de Jacob Berger (2002). Déjà, en tournant Le Garçu de Maurice Pialat, Gérard Depardieu avait senti que, sur le tournage, il était le substitut du cinéaste vis-à-vis de l’enfant, interprété pas le fils même de Pialat. Comme lui-même à la naissance de Guillaume, il était « l’homme devenu père qui ne sait plus où trouver sa place... » On peut retrouver en mineur cette relation père-enfant transposée dans le très agréable Michou d’Auber (Thomas Gilou, 2007).

On ne saurait s’étonner que le meilleur film de Depardieu au cours de ces années soit Bellamy de Claude Chabrol (2009). Il n’y est pas question de père et de fils, mais on peut voir dans Jacques (Clovis[...]

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Écrit par

  • : critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux Cahiers du cinéma

Classification

Pour citer cet article

Joël MAGNY. DEPARDIEU GÉRARD (1948- ) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

<it>Cyrano de Bergerac</it>, de J.-P. Rappeneau, 1990 - crédits : Benoît Barbier/ Camera One/ Hachette Première/ UGC/ Album/ AKG-images

Cyrano de Bergerac, de J.-P. Rappeneau, 1990

Autres références

  • BARBARA (1930-1997)

    • Écrit par Michel P. SCHMITT
    • 2 850 mots
    • 2 médias
    ...passion (1986), une comédie musicale qui évoque la vie d’une vedette de la chanson (le rôle est tenu par elle-même) et d’un assassin, incarné par Gérard Depardieu. Même si on applaudit à la réunion sur scène de deux monstres sacrés, l’œuvre laisse perplexe une grande partie du public et de la critique,...
  • MAIGRET (P. Leconte)

    • Écrit par Christian VIVIANI
    • 1 146 mots

    « C’est lui ! C’est lui ! », se serait exclamé Georges Simenon devant Michel Simon interprétant le rôle du commissaire Maigret dans un court fragment de Brelan d’as (Henri Verneuil, 1952). Ce n’était pas la première fois que l’écrivain réagissait aux incarnations cinématographiques...

  • PIALAT MAURICE (1925-2003)

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 1 746 mots
    ...l'intrigue ou la perfection du montage, le corps de l'acteur est au cœur de l'œuvre de Pialat. Il est plus que jamais présent avec un acteur aussi physique que Gérard Depardieu, instrument et complice de Pialat dans Loulou, Police, Sous le soleil de Satan (palme d'or du festival de Canne 1987) et Le Garçu...
  • SOUS LE SOLEIL DE SATAN, film de Maurice Pialat

    • Écrit par Michel CHION
    • 989 mots
    Après Loulou, 1980, et Police, Gérard Depardieu joue ici pour la troisième fois chez Pialat, qu'il retrouvera dans le dernier film de celui-ci, Le Garçu, 1995. L'acteur a rarement été aussi fervent et humble, donc aussi crédible et émouvant, « se donnant » à un texte comme le personnage...

Voir aussi