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GENRES LITTÉRAIRES

Un acte de communication

De tout ce qui précède, il ressort que les catégories génériques relèvent pour l'essentiel de la dimension pragmatique de la littérature, c'est-à-dire de la dynamique communicationnelle des œuvres. Une œuvre littéraire n'est jamais uniquement une réalité textuelle (qu'elle soit écrite ou orale), mais aussi un acte, une interaction verbale socialement réglée entre un auteur et un public. Quel que soit le contenu ou la forme de l'œuvre que l'auteur veut communiquer à ses lecteurs ou à son auditoire, il faut aussi et d'abord qu'il réussisse à faire reconnaître son œuvre comme acte communicationnel spécifique. Ainsi tout texte littéraire s'inscrit dans un cadre pragmatique ou intentionnel dont les normes le contraignent absolument : il présuppose certains choix initiaux, par exemple celui qui instaure sa structure énonciative (qui parle ? s'agit-il d'une fiction ou d'un énoncé factuel ? quel est le contexte énonciatif pertinent ? etc.), celui qui « positionne » son destinataire (le destinataire est-il déterminé ou indéterminé, fictif ou réel ? l'auditeur ou le lecteur effectif est-il le destinataire visé par l'œuvre ? etc.), ou encore celui qui détermine la nature de l'acte communicationnel qu'il réalise (s'agit-il d'une description, d'une demande, d'une menace, d'une exhortation ? etc.). Toutes ces déterminations, qui permettent au récepteur d'identifier l'œuvre comme exemple d'un type d'acte communicationnel spécifique (ou, dans le cas d'une œuvre fictive, comme imitation ludique d'un tel type), relèvent de conventions constituantes, en ce sens qu'en leur absence il n'y a pas de communication : elles instaurent l'œuvre comme signe verbal et sont l'objet d'un choix obligatoire en amont de la réalité textuelle proprement dite. Bien entendu, ces choix peuvent donner lieu à des marqueurs syntaxiques (ainsi la question est liée en français à l'inversion syntaxique ou à l'usage de « est-ce que »), de même qu'ils peuvent prescrire certains traits sémantiques (l'épithalame qui est défini par son contexte fonctionnel, donc par un critère qui relève de la pragmatique communicationnelle, a pour contenus sémantiques l'éloge du mariage, les vœux adressés aux jeunes mariés, etc.). Tous les genres littéraires, au sens restreint du terme, présupposent implicitement, sinon explicitement, de telles conventions constituantes. Ainsi l'épopée, la fable, le fabliau, le roman, la nouvelle, la short story, etc., relèvent tous d'une même convention constituante qui est la narration (en tant qu'opposée à la représentation mimétique). De même toute fiction (narrative ou dramatique) accepte comme convention constituante la mise entre parenthèses des exigences de référentialité : la fiction ne se définit pas au niveau textuel, mais au niveau intentionnel, ce qui explique pourquoi un roman historique, même s'il comporte de nombreux énoncés qui ont des référents réels, reste une fiction.

<it>Robinson Crusoé</it> - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Robinson Crusoé

Lorsqu'on quitte le niveau de l'intentionnalité communicationnelle pour celui du message réalisé, donc lorsqu'on aborde l'œuvre comme texte, la problématique générique prend une allure toute différente. Les textes, considérés du point de vue de leur organisation formelle et sémantique, ne possèdent pas de normes constituantes : l'individualité d'un message est précisément celle de sa forme et de son contenu. Alors qu'au niveau des déterminations d'ordre intentionnel ou pragmatique l'œuvre se borne à exemplifier son genre (elle possède les propriétés intentionnelles qui la dénotent), au niveau textuel elle le module, c'est-à-dire qu'elle est capable de le transformer, voire de le subvertir : au niveau de l'acte intentionnel, le genre précède l'acte, alors[...]

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Pour citer cet article

Jean-Marie SCHAEFFER. GENRES LITTÉRAIRES [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

<it>Robinson Crusoé</it> - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Robinson Crusoé

Autres références

  • GENRES LITTÉRAIRES, notion de

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 847 mots

    Avant d'être une notion problématique, inscrite dans une histoire et lourde d'enjeux esthétiques, les genres littéraires sont, pour la plupart d'entre nous, une réalité éditoriale, indissociable de notre expérience concrète : ils circonscrivent des territoires (le rayon « poésie » d'une...

  • ALLÉGORIE

    • Écrit par Frédéric ELSIG, Jean-François GROULIER, Jacqueline LICHTENSTEIN, Daniel POIRION, Daniel RUSSO, Gilles SAURON
    • 11 594 mots
    • 5 médias
    ...personnification de Fortune, où se résume la tension philosophique entre le hasard et la nécessité. Art composite, donc, que celui de l'allégorie littéraire au xiiie siècle, mais constituant ungenre facilement identifiable, encore que mal désigné par le terme dit dans les titres et les rubriques.
  • ALLÉGORIE, notion d'

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 1 454 mots

    Une première conception de l'allégorie provient de la rhétorique (Cicéron, Quintilien) : elle définit comme une « métaphore continuée » cette manière de parler qui désigne une chose par une autre (du grec allos, « autre », et agoreuein, « parler en public »). La métaphore...

  • APHORISME, genre littéraire

    • Écrit par Véronique KLAUBER
    • 352 mots

    L'aphorisme est un genre spéculaire par excellence : sa brièveté, la précision du geste vers laquelle tend l'auteur attirent son regard sur le mouvement de sa propre pensée, comme l'éclair s'insinue dans l'œil. Spéculaire, l'aphorisme l'est aussi par sa situation ambiguë qui fait « réfléchir » (au...

  • AUBE CHANSON D'

    • Écrit par Jean FRAPPIER
    • 1 148 mots

    Deux amants, dont la nuit a favorisé la rencontre, déplorent l'approche du jour, venu trop tôt à leur gré : tel est le thème de la « chanson d'aube », genre lyrique des xiie et xiiie siècles, ou simplement « aube », d'après la transposition française du mot ...

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Voir aussi