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APHORISME, genre littéraire

L'aphorisme est un genre spéculaire par excellence : sa brièveté, la précision du geste vers laquelle tend l'auteur attirent son regard sur le mouvement de sa propre pensée, comme l'éclair s'insinue dans l'œil. Spéculaire, l'aphorisme l'est aussi par sa situation ambiguë qui fait « réfléchir » (au sens optique et au sens intellectuel du mot). Musil, lui-même aphoriste, cite Nietzsche : « De beaux aphorismes du début de la maladie : « Je cherchais mon plus lourd fardeau/C'est moi que j'ai trouvé », etc., frappent par leur tendance au poème » (Journaux). De même, l'interrogation sur les « possibles », comme le couteau sans lame auquel il manque le manche ou la « potence pourvue de paratonnerre » de Lichtenberg, portent à la fois sur la chose et sur le mot. Le critère de la « spécularité » pourrait permettre de distinguer l'aphorisme des autres « formes simples », plus normatives ou davantage orientées vers un but mnémotechnique, comme les préceptes, les maximes, les adages ou les brocards. Le caractère réflexif de l'aphorisme est lié à l'introspection, tandis que la visée universelle de la maxime provient de l'observation des autres. Les moralistes français ne s'expriment que rarement en aphorismes. Celui-là en est-il un : « Les vieillards aiment à donner de bons préceptes, pour se consoler de n'être plus en état de donner de mauvais exemples » (La Rochefoucauld) ?

L'« expansion » et l'« inflation » du verbe (Cioran) peuvent être jugulées par la concision, mais, contrairement à la maxime qui recherche le vrai, « l'aphorisme ne coïncide jamais avec la vérité ; il est une demi-vérité ou une vérité et demie » (Karl Kraus). Le souci de concision qui rapproche maxime et aphorisme emprunte souvent les mêmes voies rhétoriques, tellement visibles que l'Oulipo en a fait un jeu combinatoire. Mais tandis que la maxime épingle les phénomènes en les isolant, l'« aphorisme [est] le plus petit tout possible » (Musil).

— Véronique KLAUBER

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Pour citer cet article

Véronique KLAUBER. APHORISME, genre littéraire [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ANGELUS SILESIUS JOHANNES SCHEFFLER dit (1624-1677)

    • Écrit par Eugène SUSINI
    • 2 059 mots
    Il vécut trois années dans la retraite et le silence, mais une partie de ses aphorismes devait être déjà rédigée quand il arriva à Breslau. Il continue de rimer entre 1653 et 1656, et l'ouvrage parut à Vienne le 1er juillet sous le titre un peu banal de Geistreiche Sinn- und Schlussreime...
  • AURORE, Friedrich Nietzsche - Fiche de lecture

    • Écrit par Jacques LE RIDER
    • 1 138 mots
    • 1 média
    Aurore est divisé en cinq livres et, au total, en 575 paragraphes, fragments ou aphorismes de longueur variable, qui composent une symptomatologie de l'existence humaine et entreprennent une archéologie de la culture contemporaine. Dans son Avant-propos de 1886, Nietzsche définit ainsi son projet :...
  • CIORAN ÉMILE MICHEL (1911-1995)

    • Écrit par Philippe DULAC
    • 917 mots

    « Je pense, dit quelque part Cioran, à un moraliste idéal — mélange d'envol lyrique et de cynisme — exalté et glacial, diffus et incisif, tout aussi proche des Rêveries que des Liaisons dangereuses, ou rassemblant en soi Vauvenargues et de Sade, le tact et l'enfer. » On dirait là d'un...

  • FRAGMENT, littérature et musique

    • Écrit par Daniel CHARLES, Daniel OSTER
    • 9 372 mots
    • 2 médias
    ...Fragments). Nommera-t-on œuvre fragmentaire celle qui est composée d'aphorismes, sentences, épigrammes, dont on sait que la tradition est longue ? L'aphorisme est selon Barthes un fragment toléré, car il est « un petit continu tout plein, l'affirmation théâtrale que le vide est horrible » (« Littérature...
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