Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

SCHELLING FRIEDRICH WILHELM JOSEPH VON (1775-1854)

La dernière philosophie (1827-1854)

Lorsque Schelling, après un long silence, rentre dans l'enseignement, voilà déjà longtemps que Hegel l'a supplanté : il n'est plus désormais, dirait Kierkegaard, qu'un « paragraphe du système ». Lutter contre cette image figée, imposer, contre un préjugé tenace, sa nouvelle philosophie, telle est sa tâche pendant plus d'un quart de siècle. Sans doute des scrupules excessifs le retiennent sans cesse de publier ; mais ses cours, à Munich d'abord (1827-1841), puis à Berlin (1841-1846), assurent une certaine diffusion à sa pensée. Comblé d'honneurs officiels, surtout durant son séjour à Munich (où il devient notamment président de l'Académie des sciences et précepteur du prince héritier Maximilien, qui restera son ami), Schelling n'en reste pas moins animé d'un sourd sentiment de persécution ; et, en 1846, après un procès malheureux contre son adversaire Paulus (qui avait publié sans autorisation un de ses cours), il abandonne définitivement l'Université. Il meurt à Bad-Ragatz (Suisse), après quelques années de retraite laborieuse, vouée à l'élaboration de sa « philosophie rationnelle ».

La « dernière philosophie » de Schelling se veut philosophie positive, c'est-à-dire qu'elle se présente, elle aussi, comme un récit. La pensée y prend pour point de départ ce qui l'exclut absolument, ce qui la pose hors d'elle-même, l'existence conçue comme existence nécessaire, c'est-à-dire (comme l'avait déjà vu Kant) antérieure à tout possible, à toute essence – à toute pensabilité. Mais qui au juste existe ? Ce sujet (que nous désignerons par le nom propre de Dieu) se réduit-il à son existence nécessaire ou est-il au contraire quelque chose de plus ? Dans ce cas, cela signifie qu'il est dès l'origine puissance (possibilité) d'une autre existence, et qu'il peut, en posant celle-ci, « suspendre » son existence nécessaire, la constituer à son tour comme puissance devant se réaliser à nouveau – et cette fois comme autonome. La création n'est rien d'autre que cette actualisation de la puissance de l'être-autre (A = B) et sa « réintériorisation » progressive par la « puissance » suspendue de l'existence nécessaire (A2), jusqu'au moment où Dieu se trouve posé comme esprit existant, c'est-à-dire comme pouvoir-être-autre retenu (A3). C'est l'homme qui, dans la création, représente le point où l'unité initiale des puissances se trouve ainsi restaurée. Mais, actualisant à nouveau la puissance refoulée de l'être-autre qui devait désormais lui rester intérieure, il tombe sous le pouvoir exclusif de celle-ci ; et la seconde puissance (A2) doit vaincre à nouveau, quoique maintenant sur le terrain de la conscience, la force aveugle et obstinée qui a pris sa place : processus qui s'identifie à l'odyssée religieuse de l'humanité où A2 apparaît d'abord en image dans la mythologie, puis, la conscience délivrée, en personne dans la Révélation.

Si la philosophie doit cependant partir de cet « objet » radicalement autre qu'est, pour la conscience, l'existence nécessaire, comment parvenons-nous jusqu'à ce point de départ ? La conscience, initialement, n'est-elle pas plutôt occupée par son objet absolument immanent, l'idée de l'Être (das Seyende) ? D'où la nécessité d'une seconde philosophie, « critique » et « négative » celle-là, qui doit mener la conscience de sa fermeture sur l'Être à son ouverture extatique à l'existant, en dégageant dialectiquement celui-ci comme le « sujet » absolu de l'Être, « cela qui est l'Être », et en faisant s'effacer (s'intérioriser) la conscience comme sujet dérivé qui, dans l'idée de l'Être (du possible) se prend lui-même pour objet. Une fois rendue[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Pour citer cet article

Jean-François MARQUET. SCHELLING FRIEDRICH WILHELM JOSEPH VON (1775-1854) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • COURS D'INTRODUCTION À LA PHILOSOPHIE DE LA MYTHOLOGIE (F. W. J. von Schelling)

    • Écrit par Francis WYBRANDS
    • 1 282 mots

    Longtemps ignorée en France, car suspectée d'irrationalisme, la « dernière philosophie » de Schelling commence à être mieux connue. C'est ainsi qu'une équipe (G.D.R. Schellingiana-C.N.R.S.) entraînée par Jean-François Courtine et Jean-François Marquet a proposé une nouvelle version du ...

  • RECHERCHES PHILOSOPHIQUES SUR L'ESSENCE DE LA LIBERTÉ HUMAINE, Friedrich Wilhelm Joseph von Schelling - Fiche de lecture

    • Écrit par Francis WYBRANDS
    • 829 mots

    Les Recherches philosophiques sur l'essence de la liberté humaine et les sujets qui s'y rattachent sont pratiquement le dernier livre paru du vivant de F. W. J. von Schelling (1775-1854) qui, cependant, continuera à élaborer sa pensée pendant près de quarante-cinq ans. Ce texte difficile...

  • TEXTES ESTHÉTIQUES (F. W. J. Schelling)

    • Écrit par Elisabeth DÉCULTOT
    • 967 mots

    Les réflexions sur l'art du philosophe allemand Friedrich Wilhelm Schelling (1775-1854) ont eu une incidence majeure sur l'histoire intellectuelle allemande des années 1790-1820, et ce pour deux raisons. Non seulement elles ont exercé une influence importante sur de nombreux écrivains, philosophes et...

  • DIEU - Problématique philosophique

    • Écrit par Jacques COLETTE
    • 5 676 mots
    Schelling posera à nouveau et de manière radicale la question de l'origine de la raison. Walter Schulz a montré comment le système de la subjectivité conduit ici à son achèvement la philosophie de l'idéalisme allemand. Assuré de pouvoir exercer sa puissance sur les êtres de ce monde,...
  • ESPRIT, philosophie

    • Écrit par Pierre CLAIR, Universalis
    • 2 144 mots
    ...contenant dont la potentialité est très extensible, quoique limitée ; c'est aussi un contenu à augmenter. Fichte croit à une « histoire » de l'esprit. Le Schelling de la première époque systématise une philosophie de la nature, dans laquelle liberté et arbitraire sont le point de départ de la philosophie...
  • ESTHÉTIQUE - Histoire

    • Écrit par Daniel CHARLES
    • 11 892 mots
    • 3 médias
    Mais, surtout, l'esthétique de Schelling (Système de l'idéalisme transcendantal, Bruno, Philosophie de l'art, Rapports entre les arts figuratifs et les arts de la nature, 1800-1807) libère tout ce que la Critique du jugement contenait de métaphysique implicite. Pour Schelling, l'art...
  • FICHTE JOHANN GOTTLIEB (1762-1814)

    • Écrit par Universalis, Alexis PHILONENKO
    • 8 864 mots
    • 1 média
    La Wissenschaftslehre de 1801 est un cours en partie dirigé contre Schelling et Bardili, qui prétendaient limiter la philosophie des Principes à un idéalisme subjectif. Fichte montre que le point de départ n'est pas le savoir entendu au sens psychologique, mais le savoir pur. Or, la détermination...
  • Afficher les 16 références

Voir aussi