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SCHELLING FRIEDRICH WILHELM JOSEPH VON (1775-1854)

La crise des « Âges du monde » (1808-1827)

En s'obstinant néanmoins à édifier le second volet de son système, la « philosophie de l'esprit », Schelling découvre de plus en plus l'erreur qui fut sienne d'instituer comme principe de la philosophie un « sujet » neutre, une simple « essence ». À partir de 1809, il revient donc à un sujet personnel qui n'est plus, comme avant 1801, le moi, mais qui porte le nom propre de Dieu. C'est donc avant tout une exigence interne qui, à un certain moment, amène la philosophie schellingienne à se définir comme religieuse, bien qu'il ne faille pas négliger complètement le rôle tenu par les circonstances extérieures.

Jusqu'en 1820, Schelling vit assez tristement à Munich, privé de ce stimulant indispensable qu'est pour lui le public universitaire. En 1809, il a perdu Caroline Michaelis-Schlegel, sa première femme et son inspiratrice, qu'il avait épousée en 1803 après une longue et parfois dramatique liaison (il se remariera trois ans plus tard avec une amie de celle-ci, Pauline Gotter). Il s'est brouillé avec Hegel, puis avec Friedrich Heinrich Jacobi, qu'il foudroie en 1812 dans un magnifique pamphlet – le dernier texte important qu'il ait publié. Car sa production tarit peu à peu. Après les Recherches philosophiques sur l'essence de la liberté humaine (1809), il commence, en 1810, la rédaction des Âges du monde (Die Weltalter), qui se présentent comme un récit de la vie de l'absolu, mais dont il n'écrivit jamais que la première partie (celle relative au « passé » de l'univers), sans d'ailleurs la publier. Ce travail sans cesse renoncé et repris l'obséda pendant dix ans. En 1820, sa santé l'oblige à abandonner Munich et à s'établir dans la petite ville universitaire d'Erlangen. Il y donne quelques cours et y élabore sa philosophie de la mythologie, où passèrent la plus grande partie des matériaux des Âges du monde. Et, en 1827, après une éclipse de plus de vingt ans, Schelling reparaît enfin sur la scène philosophique comme professeur à la nouvelle université de Munich.

La « philosophie de l'identité » réduisait finalement l'absolu à son auto-objectivation, à son auto-position, bref, à son existence nécessaire, jaillissant tel un éclair de la nuit de l'inconditionné. À présent, Schelling insiste avant tout sur le fait que l'absolu est liberté ; son existence, même si depuis toujours elle est déjà là (comme possible), doit donc devenir elle-même quelque chose de librement accepté ou « reconnu », à partir d'une éternelle pro-position. Mais, comme existence de l'absolu, elle demeure en elle-même nécessaire, c'est-à-dire aveugle. Dès lors, prendre l'existence signifie, pour Dieu, perdre sa liberté, sombrer dans un aveuglement dont il ne peut se libérer qu'en engendrant lui-même son libérateur (le Fils). Cette thèse d'un moment « panique » dans la vie de l'absolu est évidemment difficile à soutenir, et c'est pourquoi, sans doute, les différentes versions des Âges du monde s'interrompent toutes à cette étape. L'expérience de la « philosophie de l'identité » avait montré qu'on ne peut fonder un système sur l'existence brute ; mais on ne le peut pas davantage en partant d'une liberté antérieure à l'existence, condamnée par conséquent dès le premier pas, à s'aliéner aveuglément dans celle-ci. Le « sujet » de la philosophie ne peut donc être qu'une liberté qui, en même temps, possède depuis toujours l'existence nécessaire, sans pourtant se confondre avec elle. À partir de là, une nouvelle philosophie devient possible – celle-là même que Schelling enseigne à partir de 1827.

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Pour citer cet article

Jean-François MARQUET. SCHELLING FRIEDRICH WILHELM JOSEPH VON (1775-1854) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • COURS D'INTRODUCTION À LA PHILOSOPHIE DE LA MYTHOLOGIE (F. W. J. von Schelling)

    • Écrit par Francis WYBRANDS
    • 1 282 mots

    Longtemps ignorée en France, car suspectée d'irrationalisme, la « dernière philosophie » de Schelling commence à être mieux connue. C'est ainsi qu'une équipe (G.D.R. Schellingiana-C.N.R.S.) entraînée par Jean-François Courtine et Jean-François Marquet a proposé une nouvelle version du ...

  • RECHERCHES PHILOSOPHIQUES SUR L'ESSENCE DE LA LIBERTÉ HUMAINE, Friedrich Wilhelm Joseph von Schelling - Fiche de lecture

    • Écrit par Francis WYBRANDS
    • 829 mots

    Les Recherches philosophiques sur l'essence de la liberté humaine et les sujets qui s'y rattachent sont pratiquement le dernier livre paru du vivant de F. W. J. von Schelling (1775-1854) qui, cependant, continuera à élaborer sa pensée pendant près de quarante-cinq ans. Ce texte difficile...

  • TEXTES ESTHÉTIQUES (F. W. J. Schelling)

    • Écrit par Elisabeth DÉCULTOT
    • 967 mots

    Les réflexions sur l'art du philosophe allemand Friedrich Wilhelm Schelling (1775-1854) ont eu une incidence majeure sur l'histoire intellectuelle allemande des années 1790-1820, et ce pour deux raisons. Non seulement elles ont exercé une influence importante sur de nombreux écrivains, philosophes et...

  • DIEU - Problématique philosophique

    • Écrit par Jacques COLETTE
    • 5 676 mots
    Schelling posera à nouveau et de manière radicale la question de l'origine de la raison. Walter Schulz a montré comment le système de la subjectivité conduit ici à son achèvement la philosophie de l'idéalisme allemand. Assuré de pouvoir exercer sa puissance sur les êtres de ce monde,...
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    ...contenant dont la potentialité est très extensible, quoique limitée ; c'est aussi un contenu à augmenter. Fichte croit à une « histoire » de l'esprit. Le Schelling de la première époque systématise une philosophie de la nature, dans laquelle liberté et arbitraire sont le point de départ de la philosophie...
  • ESTHÉTIQUE - Histoire

    • Écrit par Daniel CHARLES
    • 11 892 mots
    • 3 médias
    Mais, surtout, l'esthétique de Schelling (Système de l'idéalisme transcendantal, Bruno, Philosophie de l'art, Rapports entre les arts figuratifs et les arts de la nature, 1800-1807) libère tout ce que la Critique du jugement contenait de métaphysique implicite. Pour Schelling, l'art...
  • FICHTE JOHANN GOTTLIEB (1762-1814)

    • Écrit par Universalis, Alexis PHILONENKO
    • 8 864 mots
    • 1 média
    La Wissenschaftslehre de 1801 est un cours en partie dirigé contre Schelling et Bardili, qui prétendaient limiter la philosophie des Principes à un idéalisme subjectif. Fichte montre que le point de départ n'est pas le savoir entendu au sens psychologique, mais le savoir pur. Or, la détermination...
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