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WAXMAN FRANZ (1906-1967)

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Compositeur audacieux, Franz Waxman, Américain d'origine allemande, a ouvert la voie à une nouvelle manière de penser la musique pour le cinéma. Avec lui, celle-ci acquiert une autre fonction : elle fait plus qu'illustrer ou souligner ce que montre l'image, arrivant souvent de façon très inattendue et non pas « calée » d'une manière prévisible. Cette démarche, inaugurée dès les année 1940, s'inscrit dans une perspective radicalement novatrice et on peut encore s'étonner qu'à une époque où les partitions suivaient tous les soubresauts de l'intrigue Franz Waxman ait pu imposer sans faire scandale une démarche esthétique aussi radicalement opposée.

Franz Wachsmann (il adoptera le patronyme Waxman à son arrivée aux États-Unis) naît le 24 décembre 1906 à Königshütte, en Silésie du Nord (aujourd'hui Chorzów, en Pologne), au sein d'une famille aisée – son père occupe un poste important dans une aciérie – qui ne manifeste aucune ouverture à la culture. Mais, dès son plus jeune âge, Franz ressent un vif intérêt pour la musique ; il se heurte ainsi très tôt à la volonté d'un père sévère qui veut faire de son fils un banquier et s'efforce de le détourner d'une activité qu'il considère comme hasardeuse ; il laisse malgré tout son fils étudier le piano dès l'âge de sept ans. En 1924, Franz doit se prononcer pour une carrière. Obéissant aux injonctions paternelles, il commence à étudier le droit et la finance. Mais, parallèlement, il travaille comme caissier afin de se payer des leçons de piano, d'harmonie et de composition. Lorsqu'il prend en 1923 la décision d'abandonner définitivement la carrière de banquier pour se consacrer à la musique, ses parents se montrent assez compréhensifs pour admettre une vocation aussi évidente. Franz part alors pour Dresde puis pour Berlin afin de consolider ses connaissances musicales. Être étudiant à Berlin, c'est bénéficier du climat intellectuel et artistique très riche de la capitale, pouvoir assister aux spectacles, éprouver des expériences musicales enrichissantes. Pour gagner sa vie, il devient pianiste dans des boîtes de jazz et arrangeur pour des groupes comme les Weintraub Syncopators, très célèbres dans les années 1920. Travaillant sans relâche, il se fait remarquer par Friedrich Holländer, qui lui confie l'orchestration et la direction de la musique qu'il a écrite pour L'Ange bleu (Der Blaue Engel, 1930) de Josef von Sternberg. Le producteur du film, Erich Pommer, recommande Waxman à Fritz Lang pour écrire, au côté de Jean Lenoir, la musique de Liliom (1933).

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Mais, au moment où sa notoriété s'affirme, Waxman est contraint de quitter en 1934 une Allemagne dans laquelle il n'a plus sa place en tant qu'artiste juif. Après un bref passage à Paris et à Londres, il se fixe à Hollywood, capitale mondiale du cinéma. Engagé par la firme Universal, il écrit la musique de The Bride of Frankenstein (La Fiancée de Frankenstein, 1935) de James Whale. Il y impose une texture musicale ininterrompue : de la première à la dernière image, la musique, quasi expressionniste, offre un discours parallèle et éminemment figuratif, aux dissonances audacieuses, marquée toutefois par une surcharge thématique. En 1936, il est engagé par la M.G.M. et il compose la musique de Fury, de Fritz Lang.

L'année 1940 marque la première collaboration de Waxman avec Alfred Hitchcock, pour Rebecca. En complète osmose avec le scénario et la mise en scène du maître du suspense, il compose une trame musicale qui anticipe l'action au lieu d'être plaquée sur celle-ci et qui apparaît comme une menace sourde, prémonitoire, nourricière du malaise sous-jacent au film. Le compositeur signera trois autres partitions pour des films d'Hitchcock : Suspicion (Soupçons, 1941), The Paradine Case (Le Procès Paradine, 1947) et Rear Window (Fenêtre sur cour, 1954).

En 1941, Victor Fleming fait appel à Waxman pour écrire la partition de Dr. Jekyll and Mr. Hyde. Pour ce projet de la M.G.M., Waxman s'éloigne quelque peu de l'académisme et s'efforce d'échapper au pléonasme qu'imposait partout une musique trop figurative. Plutôt que de suivre les péripéties et de les souligner, le compositeur déplace l'axe d'intervention dans le film ; il opte pour l'idée de relief. Par ce parti pris résolument moderne, Waxman impose une distance entre la musique et l'image, conception tout à fait révolutionnaire à Hollywood.

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Avant de quitter la M.G.M. en 1943 pour la Warner Brothers, Waxman écrit la célèbre fanfare précédant le rugissement du lion dans le générique de la compagnie, désormais dans toutes les têtes.

En 1950, Waxman reçoit l'oscar de la meilleure partition pour le film de Billy WilderSunset Boulevard (Boulevard du crépuscule). Sa grande trouvaille : avoir établi un contraste dans le rapport entre la musique et l'image en conduisant un discours parallèle à l'action tout en rejetant l'évidence. En 1951, un second oscar lui est attribué pour A Place in the Sun (Une place au soleil), de George Stevens. Pour ce mélodrame, Waxman a su éviter soigneusement le pathos musical et choisir une musique de timbres qui installe un climat trouble. Le ton musical est juste, en parfait accord avec l'image, même si le compositeur impose une certaine distance.

À la fin des années 1950, le compositeur ralentit quelque peu son activité pour le cinéma. Il écrira une de ses dernières grandes partitions en 1959, pour le film de Fred Zinnnemann The Nun's Story (Au risque de se perdre), adapté du célèbre roman de Kathryn C. Hulme. La musique traduit avec beaucoup de pudeur la volonté de vivre et de combattre, la souffrance et les espérance d'une nonne qui quitte son couvent pour affronter la tragédie de la Seconde Guerre mondiale. Pour la première partie de ce film, Waxman s'est inspiré du chant grégorien : même s'il s'en éloigne fortement – harmonisés et orchestrés, les thèmes sont écrits dans une rythmique moderne –, il n'en respecte pas moins l'esprit.

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En 1947, Waxman avait fondé le Los Angeles International Music Festival, consacré à la création mondiale ou aux premières auditions aux États-Unis d'œuvres de compositeurs contemporains : Igor Stravinski, Arnold Schönberg, Alban Berg, Paul Hindemith, Dmitri Chostakovitch, William Walton, Ralph Vaughan Williams, Benjamin Britten... Il dirigera lui-même quelques-unes de ces œuvres. Même s'il n'a pas eu le temps de se réaliser véritablement en dehors de l'image, Waxman a composé des pièces qui ne sont pas destinées au cinéma, parmi lesquelles Carmen Fantasie, pour violon et orchestre (1947), Sinfonietta, pour cordes et timbales, dédiée à Rolf Liebermann (1955), un oratorio dramatique sur un texte de James Forsyth, Joshua (1959), un cycle de mélodies, The Song of Terezín (1966). Franz Waxman meurt d'un cancer le 24 février 1967, à Los Angeles.

— Juliette GARRIGUES

Bibliographie

R. S. Brown, Overtones and Undertones. Reading Film Music, University of California Press, Berkeley, 1994

W. Darby & J. Du Bois, American Film Music. Major Composers, Techniques, Trends, 1915-1990, McFarland & Company, Jefferson (Caroline du Nord) & Londres, 1990

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M. Evans, Soundtrack : The Music of the Movies, Hopkinson & Blake, New York, 1975

G. Marmorstein, Hollywood Rhapsody. Movie Music and Its Makers, 1900 to 1975, Shirmer Books, New York, 1997

C. Palmer, The Composer in Hollywood, Marion Boyars Publishers, Londres & New York, 1990

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T. Thomas, Music for the Movies, Silman-James Press, Los Angeles, 1997

T. Thomas dir., Film Score : The View From the Podium, Barnes, New York, 1979.

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Écrit par

  • : musicologue, analyste, cheffe de chœur diplômée du Conservatoire national supérieur de musique de Paris, chargée de cours à Columbia University, New York (États-Unis)

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