Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

DOSTOÏEVSKI FIODOR MIKHAÏLOVITCH (1821-1881)

Avant le bagne

L'enthousiaste des lettres

Second fils d'un médecin-major, Fiodor ne fut pas un enfant martyr. Son père n'était pas un monstre, il voulait seulement des fils bien instruits, armés pour la vie. Sa mère était profondément chrétienne. Le petit Fiodor (en français Théodore) était vif, joueur, observateur, grand liseur, très sensible, trop nerveux peut-être. Il était porté vers les lettres : Karamzine, le Tite-Live de la Russie et l'auteur de La Pauvre Lise (1792), nouvelle larmoyante ; Pouchkine, l'incomparable poète. Devenu veuf, le père conduisit ses deux fils à Saint-Pétersbourg préparer l'École supérieure des ingénieurs militaires : un avenir assuré. Voilà Théodore interne, boursier parmi des garçons riches, condamné à la géométrie, à la fortification et aux manœuvres. On deviendrait à moins morose, pâle et renfermé : il est surtout réfléchi. Il a quelques amis, avec qui il parle de littérature.

Tout le romantisme est passé en revue : Schiller, Hoffmann, Hugo, le Faust de Goethe et, bientôt, les romanciers Walter Scott, Honoré de Balzac, Frédéric Soulié, Eugène Sue, George Sand. La mort du père, assassiné par ses paysans, désole moins le jeune enthousiaste que n'a fait celle de Pouchkine. Il raffole de théâtre, ose un Boris Godounov, après Pouchkine, et une Marie Stuart ; il traduit Eugénie Grandet. Comment rester dans un bureau à dessiner des plans quand on ne pense qu'à la gloire et à la mission d'écrire ? Dostoïevski donne sa démission de lieutenant du génie.

Il a son programme de vie, qu'il a confié depuis quatre ans déjà à son aîné (août 1839) : « J'ai confiance en moi. L'homme est un mystère. Il faut le percer et, si cela demande toute la vie, qu'on ne dise pas qu'on a perdu son temps. Pour moi, je travaille ce mystère, car je veux être un homme. »

« Les Pauvres Gens »

Parce qu'il a gardé de son enfance un amour passionné du Christ, il s’attache aux humbles. Il vit parmi eux, partage avec eux l'argent qu'il a, se pénètre de leurs peines et de leurs joies et sait avec quels mots ils les expriment. Il connaît aussi leurs délicatesses, leurs désirs et leur facile résignation. De là naissent Les Pauvres Gens (Bednyeljudi, 1845). Ce sont quelques lettres échangées entre deux simples : le petit employé de bureau, bien connu depuis Le Manteau de Gogol, et une jeune fille sans grandes ressources, qui ont fait timidement connaissance d'une fenêtre à l'autre. Ces deux misères tâchent, avec d'infinies précautions, de s'entraider. L'homme est sans culture, naïf, maladroit, mais touchant à force de bonté. Gogol faisait rire de son Akace Akakiévitch. Le Diévouchkine de Dostoïevski n'a rien de comique, et une phrase de reproche que l’auteur lui attribue à l’adresse de Gogol souligne cette différence. La femme, plus jeune, s’avère plus fine, et aussi moins dévouée dans son affection : c’est elle qui cause la catastrophe en acceptant la main d’un grossier et riche personnage. Diévouchkine la comprend : comment résister à la tentation ? Il est au désespoir, mais il accepte de faire ses emplettes pour le mariage.

Les Pauvres Gens, du jour au lendemain, firent du débutant un auteur célèbre. Biélinski, le critique à la mode, le présenta comme le créateur en Russie du roman social, l’introduisit dans les cercles radicaux, s’occupa de le convertir aux idées de Feuerbach qu’il venait de découvrir. Dostoïevski se laissa faire d’abord. Néanmoins, il y avait malentendu : Les Pauvres Gens étaient plus qu’un roman social et, surtout, s’il n’était plus un fidèle orthodoxe, Dostoïevski n’était pas prêt à renier le Christ.

Dans les années qui suivirent, le jeune écrivain chercha sa voie dans une dizaine de nouvelles, sans retrouver le même succès. Ces nouvelles ne manquent[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire de russe à l'université de Paris-Sorbonne
  • Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

Classification

Pour citer cet article

Universalis et Pierre PASCAL. DOSTOÏEVSKI FIODOR MIKHAÏLOVITCH (1821-1881) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Dostoïevski - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Dostoïevski

Autres références

  • LES FRÈRES KARAMAZOV, Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski - Fiche de lecture

    • Écrit par Jacques CATTEAU
    • 1 945 mots
    • 1 média

    Dernier grand roman de F. M. Dostoïevski (1821-1881) Les Frères Karamazov paraissent en revue de 1879 à 1880 dans Le Messager russe. À mesure des livraisons, le succès va grandissant, renforcé par les lectures qu'en donne l'écrivain aux soirées littéraires du moins dans le public car la presse...

  • I DEMONI (mise en scène P. Stein)

    • Écrit par Jean-Louis BESSON
    • 1 099 mots

    Peter Stein a tiré des Démons, le roman de Dostoïevski, un spectacle-fleuve de près de douze heures, joué en italien et rassemblant vingt-six comédiens. Créé en mai 2009 à San Pancrazio en Ombrie, le spectacle a été représenté à Paris du 18 au 26 novembre 2010 au Théâtre national de l'Odéon (dans...

  • BAKHTINE MIKHAÏL MIKHAÏLOVITCH (1895-1975)

    • Écrit par François POIRIÉ
    • 1 060 mots

    Né à Orel (Russie) dans une famille de vieille noblesse dont plusieurs membres illustrèrent l'histoire et la culture russes, Mikhaïl Bakhtine fait ses études secondaires au lycée d'Odessa. En 1913, il entre à la faculté d'histoire et de philologie de l'université de Novorossiisk (aujourd'hui université...

  • LES DÉMONS, Fiodor Dostoïevski - Fiche de lecture

    • Écrit par Louis ALLAIN
    • 1 334 mots
    • 1 média

    Les Démons, de Fiodor Dostoïevski (1821-1881), parurent dans Le Messager russe, une revue libérale de droite, entre janvier et novembre 1871 pour les deux premières parties et en novembre-décembre 1872 pour la troisième partie. Il s'agit du troisième roman-tragédie de l'écrivain après ...

  • L'IDIOTIE (J.-Y. Jouannais)

    • Écrit par Hervé GAUVILLE
    • 922 mots

    N'est pas idiot qui veut. À partir d'articles publiés dans des revues artistiques (telles qu'art press, dont il fut le rédacteur en chef adjoint de 1991 à 1999), de conférences données dans diverses universités et de réflexions inédites, le critique d'art Jean-Yves Jouannais...

  • NIHILISME

    • Écrit par Jean GRANIER
    • 4 436 mots
    • 2 médias
    ...monde. Tout dépend alors de l'attitude que l'on adopte en face de cette découverte. On peut s'abîmer dans une méditation morose sur la vanité de toute vie. Dostoïevski, dans les « Carnets » de Crime et châtiment, note : « Le nihilisme, c'est la bassesse de la pensée. Le nihiliste, c'est le laquais de...
  • Afficher les 9 références

Voir aussi