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DOSTOÏEVSKI FIODOR MIKHAÏLOVITCH (1821-1881)

L'artiste et le penseur

Dostoïevski présente ce cas privilégié d'un penseur profond qui est un romancier de génie. Il n'écrit que s'il a une idée à exprimer, mais en l'exprimant il l'incarne. Cela est possible, parce que les idées qu'il conçoit ne sont jamais des absolus : il en voit le fort et le faible. Aussi n'est-il jamais tombé dans le travers du roman à thèse : le pour et le contre sont développés par les divers personnages, selon le caractère et dans la langue de chacun. Intrigue romanesque, étude psychologique, contenu philosophique composent un tissu indissociable. On peut ainsi distinguer trois plans : les relations sociales, la plongée dans les âmes, l'ontologie. Il paraît vain de chercher si Dostoïevski excelle plutôt comme romancier ou comme penseur.

Touchant les relations sociales, l’écrivain s’avère un réaliste. Ses intrigues partent de faits divers : souvent des crimes. La situation du moment y joue un rôle : la déchéance de la noblesse, la puissance de l'argent, l'alcoolisme, la prostitution, le mouvement révolutionnaire, les suicides. Autre élément de réel : les traits autobiographiques. Cependant, l'auteur ne s'arrête pas à ce niveau. Il bâtit, et c'est tout son art du roman : la structure dramatique, l'importance du dialogue, l'accélération du temps, les intrigues secondaires, le personnage central vers qui tout converge, les affaires d'amour intéressant non pas deux, mais trois acteurs, les faits, paroles, caractères dont l'énigme ne s'éclaircira qu'ensuite, le paysage participant à la tonalité du moment, les grandes scènes d'ensemble.

Au dire de Nietzsche, Dostoïevski est le seul auteur qui lui ait appris quelque chose en psychologie. Il saisit ses personnages en pleine crise ; tels quels, avec leurs hésitations ou leurs excès, leurs contradictions, leurs rêves, leurs états seconds, leurs actes inexpliqués. Leur inconscient, mieux qu'une conduite logique, trahit leur vraie nature. Dostoïevski pénètre leur tréfonds. Il élabore la psychologie des profondeurs.

Enfin, on s'aperçoit qu'un seul problème est toujours posé, dans ses diverses combinaisons : l'homme et Dieu ; Dieu et le mal ; l'homme, la liberté et Dieu. Posé, non point résolu. En pratique, Dostoïevski le résout cependant par le culte d'adoration qu'il rend au Christ, et où il se rencontre avec son peuple russe « théophore ». Si, chez lui, la raison n'a jamais été pleinement en repos, le sentiment est satisfait. Il vécut et mourut en chrétien.

— Pierre PASCAL

— Universalis

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire de russe à l'université de Paris-Sorbonne
  • Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

Classification

Pour citer cet article

Universalis et Pierre PASCAL. DOSTOÏEVSKI FIODOR MIKHAÏLOVITCH (1821-1881) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Dostoïevski - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Dostoïevski

Autres références

  • LES FRÈRES KARAMAZOV, Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski - Fiche de lecture

    • Écrit par Jacques CATTEAU
    • 1 945 mots
    • 1 média

    Dernier grand roman de F. M. Dostoïevski (1821-1881) Les Frères Karamazov paraissent en revue de 1879 à 1880 dans Le Messager russe. À mesure des livraisons, le succès va grandissant, renforcé par les lectures qu'en donne l'écrivain aux soirées littéraires du moins dans le public car la presse...

  • I DEMONI (mise en scène P. Stein)

    • Écrit par Jean-Louis BESSON
    • 1 099 mots

    Peter Stein a tiré des Démons, le roman de Dostoïevski, un spectacle-fleuve de près de douze heures, joué en italien et rassemblant vingt-six comédiens. Créé en mai 2009 à San Pancrazio en Ombrie, le spectacle a été représenté à Paris du 18 au 26 novembre 2010 au Théâtre national de l'Odéon (dans...

  • BAKHTINE MIKHAÏL MIKHAÏLOVITCH (1895-1975)

    • Écrit par François POIRIÉ
    • 1 060 mots

    Né à Orel (Russie) dans une famille de vieille noblesse dont plusieurs membres illustrèrent l'histoire et la culture russes, Mikhaïl Bakhtine fait ses études secondaires au lycée d'Odessa. En 1913, il entre à la faculté d'histoire et de philologie de l'université de Novorossiisk (aujourd'hui université...

  • LES DÉMONS, Fiodor Dostoïevski - Fiche de lecture

    • Écrit par Louis ALLAIN
    • 1 334 mots
    • 1 média

    Les Démons, de Fiodor Dostoïevski (1821-1881), parurent dans Le Messager russe, une revue libérale de droite, entre janvier et novembre 1871 pour les deux premières parties et en novembre-décembre 1872 pour la troisième partie. Il s'agit du troisième roman-tragédie de l'écrivain après ...

  • L'IDIOTIE (J.-Y. Jouannais)

    • Écrit par Hervé GAUVILLE
    • 922 mots

    N'est pas idiot qui veut. À partir d'articles publiés dans des revues artistiques (telles qu'art press, dont il fut le rédacteur en chef adjoint de 1991 à 1999), de conférences données dans diverses universités et de réflexions inédites, le critique d'art Jean-Yves Jouannais...

  • NIHILISME

    • Écrit par Jean GRANIER
    • 4 436 mots
    • 2 médias
    ...monde. Tout dépend alors de l'attitude que l'on adopte en face de cette découverte. On peut s'abîmer dans une méditation morose sur la vanité de toute vie. Dostoïevski, dans les « Carnets » de Crime et châtiment, note : « Le nihilisme, c'est la bassesse de la pensée. Le nihiliste, c'est le laquais de...
  • Afficher les 9 références

Voir aussi