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ÉTHIQUE

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De l'éthique à la morale

Au long de ce nouveau trajet, la référence à l'intention éthique s'effacera progressivement, à mesure que le terme neutre se chargera lui-même de significations nouvelles qu'il faut considérer comme étant non négligeables et même incontournables.

La constitution de la notion de valeur

Partons d'un terme de notre vocabulaire éthique ou moral (à ce niveau, la différence n'est pas encore marquée) qui est encore proche de la constitution primaire de l'intention éthique : le terme de valeur. Nous l'employons en relation avec des entités telles que la justice, l'égalité, la tempérance l'amitié, etc. Les Anciens ont été les premiers à essayer de fixer ces entités dans un tableau des vertus. Ainsi en est-il dans les dialogues socratiques sur le courage (Lachès), la pitié (Euthyphron), la justice (République). C'est surtout dans la grande Éthique d'Aristote que cette recherche s'épanouit, les vertus y prenant le sens fort d'excellences dans l'ordre de l'agir.

On peut retrouver dans la constitution de la notion de valeur le rapport triangulaire dans lequel se fonde l'intention éthique. Dans le mot « valeur », il y a d'abord un verbe : évaluer, lequel à son tour renvoie à préférer : ceci vaut mieux que cela ; avant valeur, il y a valoir plus ou moins. Or la préférence est l'apanage d'un être de volonté et de liberté c'est pourquoi Aristote fait précéder le traité des vertus par une analyse de l'acte libre : seul celui qui peut se poser en auteur de ses actes, en agent moral, peut hiérarchiser ses préférences. Cette toute première référence à une position de liberté en première personne est essentielle à l'évaluation. Elle met en jeu le jugement moral, inséparable de la volonté qu'aura chacun d'effectuer sa propre liberté, de l'inscrire dans des actes et dans des œuvres qui pourront eux-mêmes être jugés par d'autres. À son tour, cette référence à l'évaluation par autrui – en fonction de l'aide que ma liberté apporte à ta liberté et à la requête que ta liberté adresse à ma liberté – élève le valable au-dessus du simple désirable. Le facteur de reconnaissance du droit de l'autre s'ajoute ainsi au facteur subjectif d'évaluation, bref, au pouvoir subjectif et intime de préférer une chose à une autre. On retrouve enfin le neutre, qu'on ne peut dériver ni de l'évaluation ni de la reconnaissance intersubjective, et qui se présente comme médiation en tiers entre évaluation en première personne et reconnaissance en seconde personne.

La référence à la règle déjà là ainsi que l'inscription de la valeur dans une histoire culturelle des mœurs confèrent à la valeur cette étrange quasi-objectivité qui a toujours été la croix des philosophes.

Il y a, en effet, quelque chose d'irritant dans le problème épistémologique posé par l'idée de valeur. D'un côté, on voudrait pouvoir aligner la notion de valeur sur celle d'essence éternelle, dans une sorte de géométrie éthique. Platon s'y est employé le premier, et, après lui, tous les auteurs de traités des vertus, jusqu'à Max Scheler dans son éthique antiformelle. Il y a quelque chose de juste dans cette prétention ; il n'est pas douteux que les valeurs se présentent comme des étalons de mesure qui transcendent les évaluations individuelles ; à cet égard, il y a toujours quelque chose de prétentieux à parler d'une création de valeurs. À part quelques grands fondateurs de la vie éthique, tels Socrate, Jésus, Bouddha, qui donc a jamais inventé une valeur ? Et, pourtant, les valeurs ne sont pas des essences éternelles. Elles sont liées aux préférences, aux évaluations des personnes individuelles et finalement à une histoire des mœurs. Mais[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-X, professeur à l'université de Chicago

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Pour citer cet article

Paul RICŒUR. ÉTHIQUE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 10/02/2009

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Esclavage - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

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