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KIRCHNER ERNST LUDWIG (1880-1938)

Peindre la ville moderne

Toutefois, Dresde n'est qu'une ville de province. L'avenir est dans la capitale même, à Berlin. Pechstein en a pris le chemin dés 1908. Les autres peintres de Die Brücke y déménagent à leur tour. Kirchner, qui a déjà publié des gravures sur bois dans la revue berlinoise d'avant-garde Der Sturm, décide d'y partir en octobre 1911.

Avec Pechstein, il ouvre un cours moderne de peinture qui, faute d'élèves, se révèle vite un échec. En avril 1912, sous le libellé Die Brücke, une exposition à la galerie Gurlitt est encore relativement bien accueillie. Mais les rapports se détériorent entre Kirchner et ses compagnons. Suite à sa publication d'une histoire de leur association, la « chronique de Die Brücke », ces derniers jugent exagéré le rôle de meneur qu'il s'attribue et annoncent, en mai 1913, la dissolution du groupe.

Néanmoins, la fracture se situe, pour Kirchner, ailleurs que dans cette brouille avec ses amis. Elle réside dans sa confrontation avec Berlin. De 1912 à 1914, passant ses étés sur l'île de Fehmarn, dans la Baltique, il continue de représenter des nus et rencontre deux sœurs, Gerda et Erna Schilling, danseuses dans une boîte de nuit. Erna, qui va devenir sa compagne jusqu'à la fin de ses jours, est alors le sujet de nombreux tableaux situés dans un cadre urbain. Berlin lui a révélé une nouvelle manière de vivre la ville et de la peindre.

En 1910-1911, il avait déjà peint à Dresde des décors urbains, en même temps que toute une série de scènes de cabaret et de cirque. En 1912-1913, il se maintient d'abord dans cette tradition en prenant pour sujets des bords de canal et des vues de quartiers. Puis il aborde la représentation de scènes de rue en y introduisant les citadins eux-mêmes. Il traduit la nervosité, l'agitation frénétique, les attractions, les plaisirs qui sont inhérents à la modernisation de la vie urbaine. En résulte une dizaine de tableaux qui portent les traits les plus distinctifs de sa personnalité et de son talent. Ainsi de Cinq Femmes dans la rue (1913, Ludwig Museum, Cologne), où de longues silhouettes féminines aux visages anguleux déambulent sur un trottoir en manteaux et chapeaux noirs, exhibant fourrures et plumes. Quatre de ces silhouettes évitent impassiblement le regard des flâneurs en se penchant, à droite, vers les vitrines. La cinquième, à gauche, qui lorgne du côté d'une automobile, laisse deviner qu'il s'agit, en fait, de prostituées aux toilettes provocantes. Dans deux toiles de 1914, Cocotte rouge (Museo Thyssen-Bornemisza, Madrid) et Place de Potsdam(Nationalgalerie, Berlin), ces prostituées sont représentées de telle sorte qu'elles apparaissent comme les nouvelles cathédrales qui s'élèvent au centre de la cité.

<it>Scène de rue à Berlin</it>, E. L. Kirchner - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Scène de rue à Berlin, E. L. Kirchner

Potsdamer Platz, E. L. Kirchner - crédits : J. P. Anders, Bildarchiv preussischer kulturbesitz, Berlin / © Wolfgang & Ingeborg Henze-Ketterer, Wichtrach, Berne

Potsdamer Platz, E. L. Kirchner

<it>L'Artiste Marcella</it>, E. L. Kirchner - crédits : AKG-images

L'Artiste Marcella, E. L. Kirchner

En outre, Berlin signifie pour Kirchner un univers culturel moins cloisonné que celui de Dresde. Écrivains, plasticiens, musiciens, comédiens s'y côtoient. Il fait ainsi la connaissance d'Alfred Döblin en 1912. Il exécute le portrait du romancier, ce qui l'oriente ainsi vers un genre qu'il a peu pratiqué jusque-là. En 1913, plusieurs autres portraits suivent. Il franchit aussi le pas vers l'illustration de livres, agrémentant de dessins une nouvelle de Döblin, La Couventine et la mort, et l'une de ses pièces de théâtre, Comtesse Mizzi. En 1915, la série de gravures sur bois qu'il réalise pour illustrer un conte célèbre de Chamisso, La Merveilleuse Histoire de Peter Schlemihl, est un véritable chef-d'œuvre.

Il advient alors dans la vie de Kirchner une rupture aux conséquences douloureuses : la guerre. « Volontaire involontaire », il s'est engagé dans l'artillerie. Psychiquement ébranlé, physiquement malade, il est réformé à la fin de 1915 pour être soumis à une succession de cures en sanatorium. Après plusieurs séjours à Davos, en Suisse,[...]

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Classification

Pour citer cet article

Lionel RICHARD. KIRCHNER ERNST LUDWIG (1880-1938) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<it>Baigneuses</it>, E. L. Kirchner - crédits : AKG-images

Baigneuses, E. L. Kirchner

Mouvement artistique die Brücke - crédits : AKG-images

Mouvement artistique die Brücke

<it>Scène de rue à Berlin</it>, E. L. Kirchner - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Scène de rue à Berlin, E. L. Kirchner

Autres références

  • BRÜCKE DIE

    • Écrit par Étiennette GASSER
    • 3 347 mots
    • 3 médias
    Die Brücke (« le Pont ») fut fondée en 1905 par quatre étudiants de l'École supérieure technique d'architecture de Dresde :Ernst Ludwig Kirchner, Fritz Bleyl, Erich Heckel, Karl Schmidt-Rottluff. À l'origine de cette fondation, il y a l'amitié et le travail en commun de Kirchner et de Bleyl,...
  • EXPRESSIONNISME

    • Écrit par Jérôme BINDÉ, Lotte H. EISNER, Lionel RICHARD
    • 12 621 mots
    • 10 médias
    ...de Max Pechstein (1881-1955) et, pour un an seulement, d'Emil Nolde (1867-1956), qui a accepté de s'y intégrer sur la proposition de Schmidt-Rottluff. La tête pensante en est Kirchner, un peu plus âgé que ses camarades. Sur un bois gravé, il représente en 1905 une vue de Dresde : le pont de la reine...

Voir aussi