ENTREPRISE Financement
Tout au long de leur existence, d'abord lors de leur création, puis pour assurer leur fonctionnement et leur développement, les entreprises ont besoin de fonds. L'entreprise doit se doter d'un outil de production et financer son cycle d'exploitation, notamment ses stocks et ses créances clients. Le financement des entreprises désigne l'ensemble des ressources qu'elles doivent se procurer pour faire face à leurs besoins. Les ressources, très diverses, peuvent être regroupées en deux catégories : les capitaux propres et les capitaux empruntés. La manière de combiner les différents moyens de financement est un élément de la stratégie financière qui a des conséquences directes sur la situation économique de l'entreprise, notamment sa valeur, sa solvabilité, sa rentabilité et son risque.
Le financement des entreprises a beaucoup évolué au cours de ces dernières années. Des changements importants sont à noter : de nouveaux instruments financiers ont vu le jour ; d'une « économie d'endettement », nous serions passés à une « économie de marchés financiers » ; des business angels sont apparus pour financer la « nouvelle économie ».
Malgré ces changements, les outils traditionnels d'évaluation des besoins de financement et les modes de financement classiques sont toujours les plus utilisés, aussi leur examen demeure-t-il pertinent. Il permettra de mieux saisir les causes et les caractéristiques des nouvelles orientations.
L'évaluation des besoins de financement
Lorsqu'une entreprise a besoin de fonds, le choix d'une source de financement donnée a des conséquences sur sa structure financière. Ainsi, si l'entreprise prend la décision de s'endetter plutôt que de recourir à un financement par ressources propres, voulant ainsi profiter du différentiel de taux entre le taux de rentabilité des investissements effectués et le taux de l'emprunt, elle réduit sa capacité future d'endettement. En effet, l'augmentation de l'endettement fait croître le risque financier encouru par le banquier. Il en résultera une augmentation du taux d'emprunt, qui diminuera ou supprimera le différentiel de taux. La structure financière est donc un élément déterminant du choix. Elle fait apparaître la capacité plus ou moins grande de pouvoir recourir à tel ou tel type de financement. Préalablement à toute prise de décision, un diagnostic financier est donc effectué, notamment une analyse du bilan de l'entreprise, afin de déterminer le mode de financement adéquat.
Le bilan comme cadre d'analyse
La règle comptable fixe les éléments qui doivent figurer à l'actif et au passif du bilan des entreprises. L'actif est la récapitulation de ce que possède l'entreprise pour exercer son activité, le passif est la récapitulation des ressources qui ont servi à financer les actifs. Actifs et passifs sont décomposés en grandes masses : immobilisations, actifs circulants d'exploitation, autres actifs à court terme, du côté de l'actif ; capitaux propres, dettes à long terme, dettes à court terme d'exploitation, autres dettes à court terme, du côté du passif. L'analyse de l'évolution de la structure des bilans successifs est un des principaux outils du diagnostic financier.
La structure financière
La structure financière se définit par les proportions respectives des éléments de l'actif et du passif. L'étude de la structure comprend :
– l'étude de la structure des actifs, par exemple l'importance des immobilisations par rapport au total des actifs ;
– l'étude de la structure des passifs, par exemple l'importance des dettes par rapport aux capitaux propres engagés, l'importance de l'endettement mesurant le risque financier de l'entreprise ;
– l'étude de l'adéquation entre la structure des passifs et celle des actifs, par exemple l'importance des capitaux permanents (ressources stables comprenant les capitaux propres et les dettes à long terme) par rapport aux immobilisations (emplois stables).
Ces deux dernières études sont des préalables à toute décision de financement. Pour ce faire, on calcule des ratios comptables regroupés en deux catégories :
– Ratios de structure des passifs : le ratio de solvabilité (R1) = capitaux propres/passif total ; le ratio d'autonomie financière (R2) = dettes à long terme/capitaux propres ; le ratio d'endettement total (R3) = dettes totales/capitaux propres.
– Ratios d'adéquation des passifs aux actifs : le ratio de fonds de roulement (R4) = capitaux permanents/immobilisations ; le ratio de liquidité (R5) = actifs à court terme/dettes à court terme.
Afin de s'assurer que le recours à l'emprunt ne compromet pas la solvabilité de l'entreprise et que l'équilibre financier est toujours assuré, les entreprises comparent ces ratios à des éléments de références que constituent, en France, les ratios de la Centrale des bilans de la Banque de France ou les limites imposées par les habitudes bancaires. Selon ces dernières, R2 doit être inférieur à 1, R3 doit être inférieur à 2.
L'équilibre financier
On estime que la structure financière est équilibrée lorsque la durée des moyens de financement utilisés est au moins égale à la période d'immobilisation des actifs. On comprend dès lors le critère de classement des éléments du bilan selon lequel, dans le haut de bilan, les emplois à long terme, les immobilisations, font face aux ressources à long terme, les capitaux permanents (capitaux propres et des dettes à long terme). Ces rubriques permettent de calculer le ratio de fonds de roulement (R4) et de déterminer la valeur du fonds de roulement : fonds de roulement = capitaux permanents – immobilisations.
Un fonds de roulement positif signifie que les emplois stables sont financés par des ressources elles-mêmes stables. Le fonds de roulement doit servir à financer les besoins nés du cycle d'exploitation. Pour exercer son activité, outre les immobilisations, composées du capital technique, c'est-à-dire des terrains, bâtiments, outillage, brevets, et éventuellement des immobilisations financières, c'est-à-dire des participations dans d'autres sociétés, généralement des filiales, l'entreprise doit financer les actifs circulants d'exploitation. Ces derniers sont dus au décalage entre les flux physiques et les flux monétaires qui entraîne la présence permanente de stocks et de créances sur les clients. Stocks et créances constituent les actifs « circulants » lesquels, se renouvelant constamment, doivent être financés par des capitaux permanents, au même titre que les immobilisations. Une partie de ces actifs est financée par les dettes d'exploitation, les dettes vis-à-vis des fournisseurs. Il subsiste cependant dans la majorité des cas, un solde à financer, appelé besoin de fonds de roulement : besoin de fonds de roulement = actifs d'exploitation – passifs d'exploitation.
Le fonds de roulement doit être suffisant pour couvrir le besoin de fonds de roulement. Si le fonds de roulement est supérieur au besoin de fonds de roulement, l'entreprise a une trésorerie positive : fonds de roulement – besoin de fonds de roulement = trésorerie.
Les actifs de bas de bilan, ou actifs de trésorerie, sont alors supérieurs aux passifs de trésorerie, ou passifs de bas de bilan.
Le niveau de trésorerie résulte de décisions de financement, celles-ci étant notamment fonction de la comparaison entre les taux d'intérêt à long terme et à court terme. Si le niveau de trésorerie est négatif, les financements à court terme sont nécessaires. Le besoin de trésorerie peut également être conjoncturel, le profil du besoin de fonds de roulement pouvant varier dans l'année si l'entreprise a une activité saisonnière.
Le besoin de fonds de roulement n'étant pas stable dans le temps, la fixation du montant des capitaux permanents nécessaires dépend donc du risque d'illiquidité que veut bien assumer l'entreprise lorsque les besoins de financement du cycle d'exploitation sont élevés. On entend par risque d'illiquidité le risque de ne pouvoir faire face à ses engagements, faute d'avoir des actifs suffisamment « liquides », c'est-à-dire pouvant être transformés rapidement en disponibilités.
Les tableaux de financement et tableaux de flux
Pour avoir une vision dynamique de la structure financière de l'entreprise, on recourt de plus en plus aux tableaux de financement et aux tableaux de flux.
Les modèles de tableaux de financement sont très nombreux. De manière simplifiée, on peut considérer qu'ils ont tous pour objectif de suivre, d'une année sur l'autre, la variation des trois grandeurs : fonds de roulement, besoin de fonds de roulement, trésorerie, donc la variation de l'équilibre financier de l'entreprise.
Les tableaux de flux mettent l'accent sur la variation des flux de trésorerie. Ils ont pour objectif de montrer la capacité de l'entreprise de dégager les ressources nécessaires au financement de son activité et de sa croissance. Le tableau de flux de trésorerie, recommandé par l'Ordre des experts-comptables, explique la variation de trésorerie au cours de deux périodes successives. Il propose une approche dite fonctionnelle de la variation de trésorerie en mettant en évidence, successivement : la trésorerie dégagée par l'exploitation, la trésorerie nette consacrée aux investissements, la trésorerie nette liée au financement.
La structure optimale : coût du capital et effet de levier
L'existence d'une structure optimale de financement donne lieu à un débat fondamental en théorie financière, car c'est la structure financière qui détermine le coût des capitaux, donc le choix des investissements. En effet, déterminer la rentabilité d'un investissement consiste à comparer les cash-flows (ou flux nets de trésorerie) dégagés par cet investissement au coût des capitaux. Ce coût est le coût moyen pondéré des capitaux (C.M.P.C.) utilisés par l'entreprise. On l'appelle le coût du capital.
Le coût des capitaux propres est supérieur à celui des dettes. En effet, d'une part, les bénéfices distribués ne sont pas déductibles fiscalement, d'autre part, les propriétaires, supportant un risque supérieur à celui des créanciers, attendent une rémunération plus élevée, c’est la fameuse « prime de risque ».
Les premiers travaux de recherche sur la structure des capitaux, ceux de Franco Modigliani et Merton Miller (1958), démontrent que les décisions de financement n'ont aucune incidence sur la valeur de l'entreprise, mais ces auteurs sont parvenus à ce résultat en posant des hypothèses telles (marché parfait, pas d'impôt, etc.) qu’il fut rapidement remis en cause, d'abord par les auteurs eux-mêmes. C’est ainsi que, en prenant en compte l’avantage fiscal lié à la déductibilité des intérêts, Modigliani et Miller (1963) démontrent que la valeur de la firme endettée est supérieure à celle de la firme sans dette, c’est-à-dire entièrement financée par fonds propres. La différence de valeur est alors égale à la valeur actualisée des économies fiscales dues à l’endettement. Par ailleurs, il existerait un optimum dans la structure financière si on prend en compte les coûts de faillite. Des recherches ultérieures ont abouti à des explications différentes du comportement des firmes en matière de financement. Parmi les théories ayant servi de soubassement théorique à ces recherches, citons la théorie de l'agence et la théorie des signaux. Selon la première (Jensen et Meckling, 1976), les apporteurs de capitaux, liés aux dirigeants par un contrat de mandat, préféreraient un recours au financement extérieur, ce dernier permettant d'éviter les conflits entre propriétaires, donc les coûts d'agence. Selon eux, plus la taille de l'entreprise augmente, plus les coûts d'agence, essentiellement les coûts de contrôle, augmentent. La dette aurait donc un effet disciplinaire sur les dirigeants en les obligeant à mieux gérer l’entreprise. Par référence à la théorie des signaux (Ross, 1977), l'endettement peut être considéré comme un signal émis à destination d'acteurs (actionnaires, créanciers) en situation d’asymétrie informationnelle : ainsi, l’endettement serait un bon signal sur la qualité de l’entreprise, dans la mesure où seules les firmes en bonne santé peuvent se permettre de s’endetter. La dette serait un signal crédible, car elle est coûteuse et pénalisante en cas d’émission de faux signal.
L'argument le plus courant et le plus solide, en faveur de l'endettement, est de considérer que l'entreprise a intérêt à emprunter pour profiter de l'effet de levier de la dette c'est-à-dire qu'elle augmente la rentabilité de ses capitaux propres en ayant recours à l'endettement. L'effet de levier est d'autant plus important que la rentabilité économique, c'est-à-dire la rentabilité des capitaux investis (ou actifs économiques) dans son activité, est supérieure au taux d'intérêt des capitaux empruntés. Il s'exprime par la relation : Rc = Re + (Re – i)λ](1 – τ), où Rcest la rentabilité des capitaux propres ou rentabilité financière, Re la rentabilité économique (mesurée par le ratio du bénéfice avant intérêts et impôt sur l’actif économique (B.A.I.I.), i le coût de la dette (mesuré par le ratio des frais financiers rapportés à l’endettement financier), λ le ratio dettes financières/fonds propres, et τle taux d’imposition des bénéfices.
La relation de l’effet de levier montre ainsi que si la rentabilité économique (Re) est supérieure au coût de la dette (i), la rentabilité des capitaux propres (Rc) augmente avec le levier financier (λ). Mais, avec l’augmentation de la dette, le risque mesuré par la volatilité de la rentabilité des capitaux propres augmente également. On est donc face à un arbitrage entre une augmentation de la rentabilité des fonds propres et une augmentation du risque. D’où la difficulté de dire si l’augmentation de la dette est créatrice de valeur malgré une amplification de la rentabilité des fonds propres. Le marché est censé tenir compte de cette augmentation du risque dans la valorisation de la firme. En théorie, l'évolution du coût du capital permet de déterminer la structure optimale de financement, c’est-à-dire celle qui minimise le coût moyen pondéré du capital de l’entreprise.
La capacité d'autofinancement (C.A.F.) et de remboursement
Élément d'appréciation préalable à toute décision de financement, la capacité d'autofinancement représente l'ensemble des ressources dont peut disposer l'entreprise pour couvrir les besoins financiers liés à sa pérennité et à son développement. Elle se calcule le plus souvent à partir du résultat net, c'est-à-dire du résultat après impôt, en ajoutant les charges qui ont été prises en compte pour le calcul de ce résultat mais qui ne sont pas des dépenses (sorties de caisse), c'est-à-dire les dotations aux amortissements et aux provisions. Elle est utilisée pour évaluer la capacité de remboursement des capitaux empruntés. Cette dernière se mesure ainsi : capacité de remboursement = capitaux empruntés à terme/C.A.F.
Ce ratio indique, en années, le délai théorique minimal nécessaire pour rembourser les capitaux empruntés, en supposant que la capacité d'autofinancement soit entièrement affectée au remboursement des emprunts. La valeur communément admise varie entre une année et trois ans, selon les secteurs.
La difficulté de ventiler les dettes selon leur échéance peut conduire à utiliser un ratio prenant en compte l'ensemble des dettes. Ainsi, parmi les ratios de la fonction score de la Banque de France – fonction de ratios pondérés permettant de distinguer les entreprises saines des entreprises défaillantes –, le ratio capacité de remboursement est calculé de la manière suivante : capacité de remboursement = C.A.F/endettement total.
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Écrit par
- Michel ALBOUY : Ph. D. University of Texas, Austin, Texas, États-Unis, professeur agrégé en sciences de gestion, professeur à Grenoble École de management
- Geneviève CAUSSE : professeur émérite à l'université Paris-Est et à l'E.S.C.P. Europe
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