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ÉCRITS, Kasimir Malévitch Fiche de lecture

<it>Buste à la chemise jaune</it>, K. Malévitch - crédits :  Bridgeman Images

Buste à la chemise jaune, K. Malévitch

Lorsque Kasimir Malévitch (1878-1935) présente au printemps 1915 un ensemble de toiles dites « alogistes » à l'exposition Tramway VSaint-Pétersbourg, alors Petrograd), il lance dans le catalogue cette boutade : « Le contenu de ces tableaux n'est pas connu de l'auteur. » Quelques mois plus tard la même année, alors qu'il dévoile sa nouvelle esthétique, le suprématisme, au public de la fameuse exposition 0.10 (Petrograd), l'artiste fait paraître successivement deux brochures : Du cubisme au suprématisme et Du cubisme et du futurisme au suprématisme. Celles-ci, préparées dans l'urgence d'une stratégie événementielle, scellent avec la théorie un véritable pacte : « Le peintre doit à présent savoir ce qui se passe dans ses tableaux et pourquoi. » Le discours théorique apparaît ainsi chez Malévitch, dans la seconde moitié de l'année 1915, d'une manière aussi abrupte que son abstraction picturale. À la suite de l'expérience « alogiste » qui, en accord avec les poètes futuristes Vélimir Khlebnikov et Alexeï Kroutchonykh, aspirait à saper les fondements rationnels du langage (sa logique signifiante), le peintre inaugure avec le suprématisme la quête d'une révolution sémantique où peinture et écriture œuvrent dans une constante solidarité. D'emblée totalisante, l'ambition du peintre vise à étendre son esthétique à tous les arts. Son projet d'une revue intitulée Zéro, puis Supremus, qui aurait dû rallier poètes, sculpteurs et compositeurs autour du suprématisme ne vit cependant pas le jour. Les nombreux articles publiés à la suite de la révolution d'Octobre dans la revue Anarchie (auprès des textes de Maïakovski) concentrent en revanche un autre aspect essentiel de l'écriture de Malévitch : l'invective propre au positionnement avant-gardiste. C'est avec la présentation de la série des Blanc sur blanc à la Xe exposition d'État de Moscou en 1919 que se déploie à nouveau la verve théorique de l'artiste, en lien étroit avec les bouleversements ultérieurs qu'il accomplit dans son œuvre : la déclaration de la mort de la peinture, et l'investissement dans l'enseignement. Ces nombreux textes écrits de 1913 à 1932 ont fait l’objet d’une traduction et d’une publication par Jean-Claude Marcadé aux éditions Allia.

Le « zéro » des formes et la fondation de l'esthétique suprématiste

Marqué par une forte conscience historique, Malévitch exprime dans ses premiers textes théoriques l'idée d'une condensation et d'un dépassement de toutes les innovations picturales de la modernité. Les spectaculaires mutations de son style, entre 1906 et 1915 témoignent bien de cette assimilation accélérée : impressionnisme, symbolisme, Cézanne, fauvisme, cubisme et futurisme. Le suprématisme fait figure ici de table rase définitive : « je me suis transfiguré dans le zéro des formes et suis allé au-delà », écrit le peintre, en écho à son geste pictural le plus transgressif, le Quadrangle, plus connu sous le titre de Carré noir (1915, galerie Trétiakov, Moscou). Avec l'ambition de fonder une nouvelle origine, Du cubisme et du futurisme au suprématisme s'écarte en fait du mythe primitiviste, où s'alimentait notamment la théorie abstraite de Kandinsky, et cela par un rejet explicite de « l'art du sauvage », que Malévitch considère comme le premier responsable du regard naturaliste de l'homme sur le monde. Si cubisme et futurisme s'étaient contentés de « casser les objets », le suprématisme aspire à « faire sortir les masses picturales de l'objet vers des formes autarciques qui ne désignent rien, c'est-à-dire vers l'hégémonie, par rapport aux formes rationnelles, des formes picturales n'ayant qu'elles-mêmes pour fin ». C'est avec cette auto-référentialité des formes que Malévitch peut paradoxalement[...]

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Écrit par

  • : docteur en histoire de l'art, responsable de programmation au musée du Louvre

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Pour citer cet article

Marcella LISTA. ÉCRITS, Kasimir Malévitch - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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<it>Buste à la chemise jaune</it>, K. Malévitch - crédits :  Bridgeman Images

Buste à la chemise jaune, K. Malévitch

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