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ÉCHEC

La fonction de l'échec

Toute immobilisation signifie pour l'homme une mort insidieuse. Le Talmud a particulièrement souligné que celui qui n'avance pas recule. Les « hommes arrivés » ont souvent trouvé sous leur façade quelque Panthéon anticipé. Janet soulignait à juste titre que la « réaction de triomphe » constitue un arrêt identique et définitif de l' action, très comparable à la réaction de l'échec. Le Capitole, rappelle-t-il, est près de la roche Tarpéienne, et l'acte essentiel du triomphe est le même que celui de la retraite. Il en résulte que l'homme qui se veut vivant, l'homme qui s'accepte comme homme – en hébreu Ben Adam, c'est-à-dire fils de l'Homme, et l'on sait toutes les résonances qu'a ce mot pour la conscience occidentale –, l'homme donc est acculé au changement, c'est-à-dire à l'insécurité. Toute création est angoisse. Toute option qui brise ou fragilise des structures qui ont fait leur temps est à la fois promesse de survie et menace de mort.

L'acte du changement, comme le souligne encore Janet, est une conduite à la fois remarquable et coûteuse, qui implique effort, vigilance, choix périlleux, régulation difficile de l'action. C'est dans cette perspective que la réaction de l'échec trouve son sens. Certes, l'arrêt complet serait passage à la limite et forme définitivement négative de la réaction de l'échec, mais celle-ci peut se comprendre, dans une perspective fonctionnelle, si elle est référée à l'acte du changement. Celui-ci, par la dépense qu'il implique, par la fatigue qu'il cause, amène une disposition à la fuite et au recul que l'on pourrait comparer à un dispositif de freinage. On se replie alors sur des positions antérieures en adoptant des réactions proches de l'acte primaire.

« La réaction de l'échec, écrit Janet, survient quand les réactions de l'effort, alternant avec celles de la fatigue, n'arrivent pas à corriger les troubles de l'action. » On arriverait à mettre en lumière un jeu de vecteurs contradictoires, un principe de changement, d'émergence, qui, fragilisant le sujet, impliquerait par là même des conduites de freinage, lesquelles, dépassant à leur tour leur but, forceraient le sujet à des reculs et à des retombées. Ce schéma, impliqué par les analyses de Janet, se retrouve dans celles de Freud, non seulement dans sa psychanalyse de l'échec, mais dans le halo métapsychologique qui entoure ses analyses.

Au niveau de la psychopathologie de la vie quotidienne, le contrepoint de l'intention latente court-circuite l'action projetée et révèle un conflit sous-jacent sans que l'adaptation puisse être mise en cause.

La systématisation de la conduite d'échec peut aboutir à la névrose d'échec : l'histoire du sujet paraissant alors marquée par le projet inconscient de s'immoler à quelque schème archaïque qui a dominé son enfance, et qu'il répète sous des formes substitutives sans pouvoir le dépasser.

Mais s'il y a tous les degrés entre la psychopathologie de la vie quotidienne et l'angoisse du sujet à vouloir « voler trop haut », comme le dit Freud lui-même, un autre niveau d'analyse s'impose.

Ce troisième niveau, nous oblige à saisir sur le fil du rasoir ce pléonasme que désigne la « névrose d'échec » – car la névrose est échec par son caractère répétitif lui-même –, mais aussi à saisir ce qui, dans le répétitif, est aspiration au changement. Peut-être n'a-t-on pas assez insisté à propos du transfert, répétition dérisoire dans le champ thérapeutique d'une leçon névrotique apprise dans l'enfance, sur le fait que, s'il constitue l'axe même de l'action thérapeutique, c'est qu'il n'est pas pure répétition. S'il n'était que répétition, comment le sujet dépasserait-il les perspectives[...]

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Pour citer cet article

Eliane AMADO LEVY-VALENSI. ÉCHEC [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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La Chute, L. Cranach l'ancien - crédits : AKG-images

La Chute, L. Cranach l'ancien

Autres références

  • ANGOISSE EXISTENTIELLE

    • Écrit par Jean BRUN
    • 2 552 mots
    • 1 média
    ...partielles impuissantes à nous satisfaire. Telle est la raison pour laquelle Karl Jaspers a pu dire de l'angoisse qu'elle naissait de l' échec qui nous guette au bout de notre quête pour saisir l'Être ; mais cet échec n'est pas une invitation au pessimisme, il est l'expérience fondamentale...
  • ASPIRATION NIVEAU D', psychologie

    • Écrit par Jean-François RICHARD
    • 157 mots

    Notion utilisée par Kurt Lewin pour l'analyse de l'influence du succès et de l'échec sur les conduites. On ne peut parler de succès et d'échec pour un individu que par rapport à un but qu'il s'est fixé, par rapport à un niveau de performance qu'il s'est donné comme objectif à atteindre...

Voir aussi