Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

ÉCHANGE

Sociologie de l'échange

Les échanges constituent un facteur important de transformation sociale.

La dépossession des sociétés

Alors que les modes de circulation antérieurs subordonnaient les biens et leur transfert à la confrontation préalable des individus et de leur statut social, dans l'échange, les individus se retirent derrière leurs produits et n'apparaissent plus que comme vendeurs ou acheteurs, propriétaires de marchandises, mais étrangers les uns aux autres, c'est-à-dire dépourvus de liens de parenté ou d'alliance, de subordination ou de préséance, incompatibles avec une telle opération.

Dans le stade premier du commerce, la non-appartenance aux communautés est donc une condition nécessaire à l'établissement de rapports marchands. Les commerçants relèvent en général d'ethnies étrangères à celles qu'ils prospectent (Juifs d'Europe centrale au Moyen Âge, Indiens en Afrique orientale, Libanais et Syriens en Afrique occidentale, Chinois en Asie du Sud-Est, etc.). Le rapport marchand menace la société lignagère de décomposition, et les commerçants sont souvent, pour cette raison, l'objet de réactions hostiles d'apparence xénophobe.

L' échange entraîne avec lui la spécialisation et la division du travail ; le producteur ne cherche plus à satisfaire la totalité de ses besoins, mais un besoin commun à plusieurs autres producteurs qui lui fourniront les produits de leur spécialisation.

La division du travail rend les producteurs dépendants les uns des autres, mais sur une base individuelle et non plus communautaire. Les rapports sociaux par lesquels s'exprime cette dépendance mutuelle prennent l'aspect d'un rapport juridique nouveau qui tend à se substituer à l'ancien rapport de personnes, celui d'un contrat synallagmatique, explicite ou non. Par l'échange, donc, les individus sont en mesure de participer aux cycles de la production et de la consommation, sans être tenus d'entrer dans un rapport de dépendance personnel.

L'échange suppose enfin le droit de propriété, qui permet au possesseur d'un bien d'en disposer librement et d'en transférer l'usage, la jouissance et ce même droit d'aliénation. La propriété privée se généralise avec l'échange. Associé à la propriété individuelle, l'échange est donc le moyen de la dépossession des collectivités au profit des individus.

La dissolution des communautés

Les échanges n'ont pas atteint tous les peuples simultanément. Certains, jouissant de conditions favorisant les opérations intermédiaires (sociétés maritimes, ou situées à la frontière de zones économiques complémentaires, par exemple), ont joué un rôle dominant dans leur développement. C'est en général à ces nations marchandes que l'on doit l'apparition des techniques commerciales ou comptables et la diffusion de marchandises-étalons ou de monnaies (Le Goff, 1956).

D'autres peuples sont restés, jusqu'à nos jours, éloignés des échanges ou, tout au moins, maintenus à leur périphérie. Chez ces populations, où domine encore l'organisation lignagère, l'intrusion de l'économie de marché capitaliste provoque des crises sociales profondes. En effet, le système communautaire de circulation des biens par prestation-redistribution assure aussi la répartition du produit social entre les membres productifs et improductifs du groupe. L'échange n'assure la répartition du produit social qu'entre les producteurs ou les propriétaires de moyens de production. L'accès des improductifs aux revenus du produit social n'est pas réalisé par l'échange. Il n'est possible qu'à travers un mécanisme de redistribution toujours nécessaire. Ce mécanisme est offert tantôt par le cadre résiduel des rapports de parenté, tantôt par des institutions de protection ou de sécurité collective conçues[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Pour citer cet article

Claude MEILLASSOUX. ÉCHANGE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ALIÉNATION

    • Écrit par Paul RICŒUR
    • 8 006 mots
    ...Commonwealth, ecclesiastical and civil). Le mot aliénation n'est certes pas prononcé. I give up peut se traduire par : je renonce, j'abandonne. Mais l'idée de l'aliénation de vente est conservée sous la forme fondamentale d'un échange. Ce que chaque contractant cède n'est plus une chose, mais...
  • ANTHROPOLOGIE

    • Écrit par Élisabeth COPET-ROUGIER, Christian GHASARIAN
    • 16 158 mots
    • 1 média
    ...les parents directs – à la plus étendue (famille, clan, village). C'est l'aspect négatif d'une règle positive qui contraint à l' échange des femmes. Les parentes proches d'un homme lui sont interdites comme épouses pour pouvoir être promises à un autre, qui, à son tour, cédera...
  • ANTHROPOLOGIE ÉCONOMIQUE

    • Écrit par Maurice GODELIER
    • 5 153 mots
    ...apparent, une distance nouvelle se creusait qui les rejetait de nouveau dans l'étrange, voire dans l'irrationnel. En effet, les formes de compétition et d' échange que l'ethnologue découvrait maintenant à chaque pas en Afrique, en Asie, en Océanie se présentaient le plus souvent comme des dons et contre-dons...
  • ARGENT, sémiologie

    • Écrit par Baldine SAINT GIRONS
    • 819 mots

    L'argent se définissant au sein du système économique comme l'équivalent général des échanges, il importe au premier chef de déterminer ce qui, dans le rapport d'échanges, permet la constitution d'un équivalent monétaire. Tout d'abord, « il s'agit, écrit Marx, de faire ce que l'économie bourgeoise...

  • Afficher les 36 références

Voir aussi