DREYFUS (AFFAIRE)
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La structure d'un événement fondateur
Son socle factuel est clairement établi et ne souffre d'aucune contestation possible du point de vue matériel quand bien même les éléments du dossier apparaissent nombreux et complexes. Les enquêtes successives des intellectuels engagés dans la défense du capitaine Dreyfus, puis les différentes instructions de la Cour de cassation jusqu'à l'arrêt de révision du 12 juillet 1906, enfin le travail des historiens, de Joseph Reinach à Marcel Thomas, ont permis de connaître précisément les faits tels qu'ils se produisirent à partir de la fin de l'été de 1894.
La première affaire Dreyfus (1894-1897)
La Section de statistique chargée à l'état-major général de l'espionnage et du contre-espionnage parvint à dérober à l'ambassade d'Allemagne à Paris un document, dit « le bordereau », attestant d'une entreprise de trahison d'un officier français (le commandant Esterházy) renseignant l'ennemi désigné. Bien qu'infondés et non validés par une enquête criminelle, les soupçons se portèrent sur un jeune capitaine d'artillerie, un brillant officier de trente-cinq ans qui allait faire son entrée à l'état-major de l'armée, « l'arche sainte », après deux années d'un stage réussi dans les bureaux, et absolument innocent du crime d'Esterházy. Mais sa religion juive, son origine alsacienne (c'est-à-dire « allemande » pour certains nationalistes) et son profil intellectuel le désignèrent aux yeux des officiers réactionnaires refusant la modernisation et la démocratisation de l'armée. Le 15 octobre 1894, Alfred Dreyfus est convoqué au ministère de la Guerre sous le prétexte d'une inspection. Il est alors amené à écrire sous la dictée un texte comportant des fragments du « bordereau ». Brutalement arrêté malgré ses protestations d'innocence et dans l'ignorance des charges concrètes pesant sur lui, il est placé au régime du secret absolu dans la prison militaire du Cherche-Midi et soumis à de nombreux interrogatoires des commandants du Paty de Clam et d'Ormescheville qui menèrent des instructions exclusivement à charge.
Dès le 29 octobre, la presse antisémite et nationaliste se saisit de la nouvelle de l'arrestation et l'inscrivit dans une vaste campagne de dénonciation des « traîtres » et des républicains qui « protègent les juifs à l'état-major ». Par décision du ministre de la Guerre, le général Mercier, un dossier secret composé de documents faux ou indûment attribués à Dreyfus fut dressé par la section de statistique et avalisé par les chefs de l'armée. Ce dossier fut alors communiqué aux seuls juges militaires chargés de juger l'officier. Par ce moyen qualifié en 1898 de « crime juridique » par de nombreux juristes et par l'écrivain Émile Zola, le capitaine Dreyfus fut, le 22 décembre 1894, condamné à l'unanimité du conseil de guerre et au maximum des peines prévues par la loi. La dégradation eut lieu le 5 janvier 1895 en présence de vingt mille Parisiens hurlant leur haine des juifs, tandis que la déportation à vie en enceinte fortifiée fut exécutée définitivement par le transfert de l'officier sur l'île du Diable, au large de la Guyane, le 21 février. Les conditions de détention furent particulièrement cruelles et en tout point illégales puisqu'elles violaient la loi sur la déportation du 23 mars 1872 (complétée par la loi du 9 février 1895 instituant la Guyane comme nouveau lieu de déportation). Comme toute la partie policière et judiciaire, la dimension pénitentiaire de l'événement s'opposa à l'État de droit. Cette première phase de l'Affaire se referma néanmoins dans la conviction quasi unanime de la culpabilité du condamné et de la légalité de son procès.
La deuxième affaire Dreyfus (1898-1899)
Les gouvernements républicains qui se succédèrent jusqu'en septembre 1898, de même que l'ensemble des sénateurs et des députés (à l'exception de rares parlementaires comme les modérés Auguste Scheurer-Kestner et Joseph Reinach, les radicaux Arthur Ranc et Gustave-Adolphe Hubbard, les socialistes Jean Jaurès et Gustave Rouanet) refusèrent de prendre en compte les preuves de plus en plus certaines de la criminalité du jugement et de l'innocence de Dreyfus. La défense de l'officier et, par-delà son cas, celle de la légalité judiciaire, de la [...]
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Écrit par :
- Vincent DUCLERT : professeur agrégé à l'École des hautes études en sciences sociales
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Pour citer l’article
Vincent DUCLERT, « DREYFUS (AFFAIRE) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 17 juin 2022. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/dreyfus-affaire/