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BUXTEHUDE DIETRICH (1637 env.-1707)

Longtemps revendiqué par l'Allemagne et par le Danemark, Buxtehude naît dans une portion du Holstein alors danoise mais qui plus tard deviendra (et restera) allemande ; il passera les trente premières années de sa vie au Danemark (en n'y composant qu'une seule œuvre) et les quarante dernières (les plus glorieuses) en Allemagne. Il a seulement un an lorsque son père est nommé organiste à Hälsingborg, ville du sud de la Suède mais appartenant alors au Danemark, et quatre lorsque sa famille s'installe à Helsingør (Elseneur), de l'autre côté du détroit du Sund. Lui-même refait le trajet une vingtaine d'années plus tard : il est en effet organiste à Sainte-Marie de Hälsingborg en 1657-1658, puis à la paroisse allemande de Sainte-Marie d'Elseneur en 1660. Le pays est alors ruiné par la guerre qu'il vient de soutenir contre la Suède, mais la vie musicale reprend vite l'éclat qui a été le sien sous le règne du roi Christian IV (1588-1648), lequel a su attirer à sa cour de Copenhague des compositeurs comme l'Anglais John Dowland ou l'Allemand Heinrich Schütz. C'est pourtant à l'église Sainte-Marie (Marienkirche) de Lübeck, où en 1668 il succède à Franz Tunder après avoir selon l'usage du temps promis d'en épouser la fille, que Buxtehude réalisera son œuvre, conservant, malgré tout, de sa jeunesse danoise « dessin âpre et net, aux traits simples, élégante brusquerie et impétuosité » (A. Pirro). Outre le poste d'organiste, il prend à sa charge, dès 1669, les fonctions de régisseur et de comptable général de l'église.

À Sainte-Marie de Lübeck, l'usage s'est développé pour l'organiste de donner chaque jeudi et en dehors de tout office (ce qui équivaut à un véritable concert public) un petit récital de préludes, de fugues et de toccatas destiné à divertir les bourgeois et marchands qui, dans la pénombre de la nef, discutent de leurs affaires. Buxtehude, ayant décidé de donner à ces manifestations une forme nouvelle, les transporte au temps de l'avent. À partir de 1673, pendant les cinq dimanches précédant Noël, ont lieu après le prêche de l'après-midi les fameuses Musiques du soir (Abendmusiken), que Buxtehude décrira fièrement comme « ne se faisant nulle part ailleurs ». Celles de 1705, les dernières, utilisent comme exécutants deux chœurs de trompettes et timbales, deux de cors de chasse et de hautbois, plus de vingt violons, quatre chœurs dans les tribunes et un autre dans la nef, et évidemment les quatre orgues ! Or, de l'ensemble, il ne reste malheureusement que trois livrets dont la musique est perdue. Mais nous possédons en compensation plus de cent compositions vocales spirituelles de Buxtehude, dont certaines ont certainement retenti lors des Musiques du soir.

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Ces œuvres, qui vont du genre du concert spirituel et de ceux du choral et de l'aria (l'influence du piétisme naissant sur la musique de Buxtehude est ici particulièrement nette) à celui de la cantate en plusieurs parties, influencèrent directement Jean-Sébastien Bach, surtout dans sa période de Weimar (1708-1717). Sur le plan instrumental, Buxtehude écrivit des pièces pour clavecin (vingt-cinq furent retrouvées en 1942 seulement) parmi lesquelles dix-neuf suites, et vingt sonates en trio, dont quatorze publiées à Hambourg en 1696 et six restées manuscrites : il fut en ce dernier domaine, avec son compatriote Johann Rosenmüller, un pionnier en Allemagne. Ses sonates en trio ont d'ailleurs la particularité d'exiger, outre un violon et une basse continue (clavecin ou orgue) doublée par un violoncelle, non pas un second violon, mais une viole de gambe : elles opposent donc expressément, aux instruments « modernes » (violon et violoncelle), un instrument « ancien » (viole). Les ouvrages ci-dessus sont tous d'une très grande beauté.

C'est néanmoins dans sa musique d'orgue que Buxtehude fut le plus grand, c'est d'abord grâce à elle qu'il put fêter, après deux siècles d'oubli, une éclatante résurrection. La dernière édition « complète » (1952) comprend environ quatre-vingts pièces, dont vingt-cinq du type prélude et fugue et une quarantaine rendant hommage au choral. Cette production domine le répertoire tout entier, pourtant considérable, consacré à l'instrument par l'école de l'Allemagne du Nord issue de Sweelinck, et ne le cède dans l'histoire de la musique germanique qu'à celle de Jean-Sébastien Bach (qui ne dépassa jamais les plus grands morceaux de Buxtehude). Par opposition à celle du Sud illustrée par un Pachelbel ou par un Muffat, l'école d'orgue d'Allemagne du Nord était une école déjà romantique, cultivant la surprise harmonique, la liberté rythmique et formelle : les préludes et fugues de Buxtehude ne sont pas des diptyques comme ceux de Bach, mais des pièces d'un seul tenant, faisant alterner des épisodes fugués et d'autres de caractère improvisé et virtuose. Buxtehude fut en son temps le premier compositeur germanique, et un des quatre ou cinq premiers à l'échelle européenne. Pour le jeune Bach, sa gloire et son importance étaient telles qu'en 1705, à l'âge de vingt ans, il fit à pied le voyage d'Arnstadt à Lübeck pour l'entendre, restant absent plusieurs mois au lieu des quelques semaines qui lui avaient été accordées comme congé.

— Marc VIGNAL

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