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DESCRIPTION ET EXPLICATION

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Les théories de l'explication

En théorie de l'explication, on pourrait opposer deux grands paradigmes, qu'on appellera respectivement substantialiste et relationnel.

Anciens et médiévaux expliquent en termes de substances et de causes : ils admettent des atomes, des agents (causes efficaces et transitives), des supports d'actions causales (fluides propagateurs, vertus sympathiques, espèces sensibles émanées ou reçues, etc.), des formes facteurs d'unité et d'activité (formes substantielles). À l'époque suivante, on a vu, dans ces substances, formes et actions, autant d'abstractions réalisées, d'ailleurs peu sûres : les énoncés sur ces entités sont invérifiables et n'ouvrent la voie à aucune activité pratique. Descartes admet encore deux substances qui se diversifient entre les phénomènes individuels. Dans le cadre du paradigme cartésien (l'explication par figure et mouvement), on ne peut pas comprendre comment la modification de l'état d'un corps a pour effet la modification d'un autre corps. Leibniz et Malebranche montrent que les relations importent plus que les substances. À l'action d'une substance qui se transporte dans une autre, et qui est inintelligible, Leibniz substitue une harmonie, c'est-à-dire une loi de correspondance entre les modifications d'individus (les monades), tous reliés entre eux. Les rationalistes classiques ne pouvaient être que très sélectifs en matière d'admission de causes, puisqu'ils exigeaient qu'elles fussent en même temps des raisons : « causa sive ratio », l'expression se trouve dans Spinoza et dans Leibniz, peut-être déjà dans Descartes (Newton lui-même emploie les termes cause ou raison pour désigner la recherche d'une explication). Les analyses psychologiques de Hume vont dans le même sens que l'épuration effectuée par l'école cartésienne ; elles suppriment la causalité transitive et ne conservent que des successions ou des concomitances constantes. Tous préparaient, à leur insu, le positivisme de l'époque suivante, qui élimine tout bonnement les causes. La réussite de la physique newtonienne contribue à faire délaisser la recherche des causes agissantes pour celles des relations quantitatives entre les phénomènes. Mais la loi n'explique pas, elle décrit une corrélation (en l'idéalisant), indique un rapport entre des conditions et un conditionné. Les épistémologues positivistes soutiennent que les idées de cause et de force sont anthropomorphiques, et que d'ailleurs nous pouvons nous dispenser d'en admettre. « Quand les sciences sont très développées, elles emploient de plus en plus rarement les concepts de cause et d'effet, car ils sont provisoires, incomplets et imprécis. Dès qu'on arrive à caractériser les faits par des grandeurs mesurables, ce qui se fait immédiatement pour l'espace et le temps, ce qui se réalise par des détours pour les autres éléments sensibles, la notion de fonction permet de représenter beaucoup mieux les relations des éléments entre eux... Ainsi, les notions vulgaires de cause et d'effet deviennent superflues » (E.  Mach, chap. xvi).

L'abandon de la cause pour la loi, qui exprime un rapport de consécutivité ou de concomitance constante, marque l'affaiblissement du paradigme substantialiste au profit du paradigme relationnel. C.  Renouvier résume cela très clairement : « La doctrine des essences et des vertus secrètes, des causes formelles, des formes substantielles étant définitivement répudiée, d'une part – quoiqu'elle ait gardé de beaux restes dans nos habitudes de penser –, et, d'une autre part, la recherche expérimentale de la cause d'un phénomène étant manifestement impossible en tout autre sens que celui-ci : la condition nécessaire et suffisante de sa production, alors que l'ensemble des conditions antécédentes,[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université Paris-XII-Val-de-Marne, Créteil

Classification

Pour citer cet article

Jean LARGEAULT. DESCRIPTION ET EXPLICATION [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Média

Le système de Tycho Brahe - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Le système de Tycho Brahe

Autres références

  • CAUSALITÉ

    • Écrit par , et
    • 12 987 mots
    • 3 médias
    ...souscrit Platon. Si les effets contiennent plus que leurs causes, c'est qu'il y a une puissance qui les produit. La cause est, en effet, le principe d' explication « de la génération et de la corruption » (Phédon, 95 e) ; « de l'acheminement du non-être à l'être », c'est-à-dire de la...
  • COMPRÉHENSION (sociologie)

    • Écrit par
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    C’est au sein des sciences humaines allemandes de la seconde moitié du xixe siècle que la notion de compréhension a été formulée pour la première fois par l’historien Johann Gustav Droysen puis par le philosophe Wilhelm Dilthey. Elle est d’emblée définie en référence à un dualisme des...

  • COMTE AUGUSTE (1798-1857)

    • Écrit par
    • 9 502 mots
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    ...impossible de concilier la théologie et la science. Il n'y a pas à proprement parler conflit logique ou dialectique entre elles. Un nouveau mode d' explication frappe les dogmes d'obsolescence. Aussi l'esprit positif prétend-il éviter la polémique et aspire à s'établir pacifiquement dans les ...
  • CONTINGENCE

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    • 4 900 mots
    L'idée même d'explication scientifique se transformait : le modèle causal et déterministe cessait de paraître comme le plus parfait, alors que les lois et les théories statistiques, en physique puis en biologie, permettaient de pénétrer la structure intime de l'infiniment petit. Le ...
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