Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

DÉCROISSANCE

  • Article mis en ligne le
  • Modifié le
  • Écrit par

Sortir du productivisme

Les débats autour de la décroissance, pris dans l'un des sens évoqués, tranchent avec le caractère convenu et souvent soporifique des discussions portant sur le développement durable, ce terme ayant largement été vidé de sa substance depuis son introduction en 1987. C'est l'une des raisons principales qui expliquent l'attrait dont ils font l'objet. La décroissance introduit de la radicalité et pose d'emblée un vrai problème de fond : les « technologies de rupture » se font attendre, nous sommes chaque jour plus dépendants de systèmes techniques qui s'imposent à nous et nous dépassent, les objectifs politiques dominants restant orientés vers le « toujours plus » qui ne cesse d'aggraver la situation.

Démonétisé dans l’espace public, le développement durable n’en conserve pas moins une charge critique élevée, à l’échelle qui est la sienne : l’espace international. La dynamique qui anime la série de sommets qui le consacre le vérifie amplement. Après un Sommet de la Terre en 1992 qui le place au cœur de l’Agenda du xxie siècle, le Sommet de Johannesburg constate en 2002 le manque d’avancées, tandis que le Sommet de Rio de 2012 en appelle à une « croissance verte » grosse de toutes les ambiguïtés. À partir de 2015, les sommets sont remplacés par des rencontres annuelles dites « de haut niveau », qui passent désormais inaperçues ou presque. Le développement durable a donc été marginalisé, dans l’espace diplomatique. Ce sont maintenant les rapports d’experts tels que ceux du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) ou de l’IPBES (Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services) qui font événement, quand ce ne sont pas les événements eux-mêmes (vagues de chaleur, sécheresse…).

Pourquoi alors ne pas avoir simplement recouru à Marx, qui a aussi voulu déconstruire l'homme économique ? Parce que, pour les objecteurs de croissance, la thèse marxienne et ses différentes interprétations ont été prises en défaut, de plusieurs manières. Impossible, tout d'abord, de continuer à attribuer un rôle dialectique de médiation au développement des forces productives, au prolétariat. La centralisation est bien un produit direct de la croissance, mais les systèmes techniques ainsi développés ne conduisent pas nécessairement le prolétariat au pouvoir. Ils tendent au contraire à s'étendre sans fin, jusqu'à la destruction de la planète et de la société. Les objecteurs de croissance renouent ici avec les thèses développées contre les communistes par les sociaux-démocrates et les socialistes libertaires (Bakounine). Beaucoup de sympathisants de la décroissance sont proches de ces vieux courants antiautoritaires. Impossible, ensuite, de soutenir encore que la dynamique capitaliste engendre un appauvrissement radical du prolétariat : la classe ouvrière s'est enrichie, du moins dans les pays du centre capitaliste. Elle aura donc beaucoup plus à perdre que ses chaînes dans une révolution. Enfin, l'Union soviétique, qui devait abolir le capitalisme, n'a aboli que la propriété, pas l'accumulation capitaliste. Elle n'a pas été capable d'en arrêter ou d'en réorienter la dynamique. La stratégie est donc entièrement à revoir.

Ces problèmes ont conduit des auteurs, tels Jean-Marie Vincent, Anselm Jappe ou Moishe Postone, à développer des lectures très hétérodoxes de Marx, qui ont souvent été bien accueillies chez les objecteurs de croissance. Le pivot de cette critique est le travail. Elle considère que la classe ouvrière a été fonctionnellement intégrée dans le capitalisme à partir du moment où elle a fait sien le culte bourgeois du travail et de l'enrichissement matériel. Suivant cette approche, le capitalisme est une médiation sociale spécifique, fondée[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Pour citer cet article

Fabrice FLIPO. DÉCROISSANCE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 15/05/2023

Média

Décharge à New Delhi - crédits : Manpreet Romana/ AFP

Décharge à New Delhi

Autres références

  • DÉCROISSANCE (CRITIQUE DE LA)

    • Écrit par
    • 5 144 mots
    • 8 médias

    Une crise écologique majeure est aujourd'hui avérée : pollutions, épuisement des ressources, réchauffement du climat, les menaces sont globales mais visent en premier lieu les populations les plus pauvres. La simultanéité de cette crise écologique avec une crise sociale renforce le caractère inédit...

  • DÉVELOPPEMENT DURABLE

    • Écrit par
    • 1 892 mots
    • 1 média
    La réponse au second des deux déséquilibres, celui qui menace la biosphère, n'est pas la décroissance en général, comme on l'entend parfois. Cette dernière n'a pas plus de sens que l'impératif de la croissance tous azimuts. En effet, la décroissance économique interdirait la réduction de la pauvreté...
  • ÉCOLOGISTE MOUVEMENT

    • Écrit par
    • 12 350 mots
    • 5 médias
    ...concurrencés sur leur droite, les partis écologistes doivent aussi composer avec des théories ou des activistes plus radicaux qu’eux. Les tenants de la « décroissance » s’inspirent des thèses de l’économiste du développement Nicholas Georgescu-Roegen. Face à la démesure technologique et énergétique de...
  • ÉCONOMIE CIRCULAIRE

    • Écrit par
    • 4 905 mots
    • 3 médias
    ...par les tenants d’une « croissance verte », qui l’utilisent pour légitimer la déclinaison circulaire de modèles marchands, et par les partisans de la décroissance, qui la jugent contre-productive parce qu’elle détourne des objectifs de sobriété et de réduction pure et simple de la production et de la...