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CRÉATION Les mythes de la création

Le plongeon cosmogonique

Éléments communs

Le scénario comporte les éléments suivants : au commencement n'existaient que les Eaux ; Dieu ordonne à un animal amphibie de plonger au fond de l'Océan et de lui rapporter une poignée de terre ; à la troisième immersion, l'animal réussit à rapporter un peu de glaise, et avec cette infime particule Dieu forme la Terre. Il s'agit très probablement d'un mythe cosmogonique fort ancien, car sa diffusion est considérable. Dans l'Inde, l'animal plongeur est un sanglier. Il descend au fond des Eaux et soulève la Terre. Mais l'identité de ce sanglier cosmogonique a été différemment interprétée au cours des âges. La Taittirîya Samhitâ présente Prajâpati se mouvant comme le vent au-dessus des vagues. Il vit la Terre et, se transformant en sanglier, descendit dans les profondeurs et la souleva. Le Taittirîya Brâhmana donne plus de précisions : au commencement, alors que n'existaient que les Eaux, Prajâpati vit une feuille de lotus et pensa : « Il y a quelque chose sur quoi elle repose. » Il prit la forme d'un sanglier, plongea et trouva de la terre. En détachant une partie, il revint à la surface et l'étendit sur la feuille de lotus. Dans le Râmâyana ce rôle est dévolu à Brahmâ. Mais, dans le Vishnu Purâna, la coalescence entre Brahmâ et Vishnu est déjà parfaite : Brahmâ-Vishnu, sous la forme d'un sanglier, descend au fond de l'Océan et soulève la Terre. Dans le Bhâgavata Purâna le sanglier est un avatar de Vishnu.

Le fait que c'est un grand dieu qui plonge sous l'aspect thériomorphe souligne l'archaïsme du mythe (en effet, on ne trouve pas ce motif chez les peuples pasteurs de l'Asie centrale). Le mythe du plongeon cosmogonique est attesté chez plusieurs populations aborigènes de l'Inde, surtout chez des tribus Munda. Voici comme le racontent les Birhor du Chota Nagpur : l'esprit suprême Singbonga, qui se trouvait dans le monde inférieur, s'éleva à la surface des Eaux par la tige creuse d'un lotus. Il s'assit sur la fleur de lotus et ordonna à la tortue de lui apporter du fond un peu de limon. La tortue s'exécuta, mais, dans sa remontée vers la surface, le limon fut lavé. Singbonga intima alors au crabe l'ordre de plonger. Celui-ci rapporta du limon dans ses pattes, mais, comme la tortue, il le perdit en remontant. Finalement, Singbonga envoya la sangsue : elle avala un peu de limon et le dégorgea dans la main de l'Esprit suprême, qui en fit la Terre. Des mythes plus ou moins similaires sont attestés chez les Santals, en Assam, et chez les Négritos Semang de la péninsule malaise. Sporadiquement, le mythe du plongeon cosmogonique se rencontre en Indonésie et en Mélanésie. En Micronésie le mythe subit un processus d'érosion et de contamination avec d'autres motifs mythiques et finit par disparaître.

La création du dieu et les forces du mal

Dans les mythes des Indiens de l'Amérique du Nord, les animaux plongeurs sont des oiseaux aquatiques, mais aussi des quadrupèdes nageurs, des crustacés, des poissons. En Sibérie et dans l'Asie centrale, le thème de l'immersion est intégré dans une cosmogonie « dualiste ». Selon un mythe samoyède, Num, le Dieu suprême, ordonne à des cygnes et à des oies de plonger, afin de voir s'il existe de la terre au fond des Eaux. Les oiseaux reviennent sans avoir rien trouvé. Dieu dépêche alors le plongeur polaire. Après six jours celui-ci revient à la surface : il a aperçu de la terre, mais il n'avait plus la force d'en rapporter. L'oiseau ljuru plonge à son tour et, le septième jour, il revient avec un peu de boue dans son bec. Alors que Num avait déjà créé la Terre, « de quelque part » arriva un « vieux » qui lui demanda la permission de se reposer. Num commença par refuser, lui intimant de plonger et de[...]

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Pour citer cet article

Mircea ELIADE. CRÉATION - Les mythes de la création [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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Nout et Geb, papyrus - crédits :  Bridgeman Images

Nout et Geb, papyrus

Prêtre en prière devant les symboles des dieux Marduk et Nabu - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Prêtre en prière devant les symboles des dieux Marduk et Nabu

Autres références

  • ABRABANEL (1437-1509)

    • Écrit par Colette SIRAT
    • 912 mots

    Le conflit entre les théories philosophiques universalistes et un attachement plus proprement religieux à la tradition existait depuis plus de deux siècles chez les penseurs juifs. La philosophie sous sa forme averroïste admettait généralement que la vérité philosophique ne différait de la vérité...

  • ABRAHAM IBN EZRA (1089-1164)

    • Écrit par Gabrielle SED-RAJNA
    • 813 mots

    Commentateur, grammairien, philosophe et astronome, Abraham ibn Ezra, né à Tudela, est l'une des plus grandes figures de la pensée juive du Moyen Âge. Sa carrière se divise en deux périodes bien distinctes. Pendant la première, jusqu'en 1140, il vit en Espagne, où des liens d'amitié le lient à...

  • ADAM

    • Écrit par André-Marie DUBARLE
    • 1 758 mots

    En hébreu, le nom commun adam, toujours employé au singulier, signifie « homme » en tant qu'espèce et non en tant qu'individu de sexe masculin. L'étymologie en est discutée. Le récit de la Genèse(ii, 7) l'a rapproché du mot adamah, « terre », mais c'est peut-être là...

  • AFRIQUE NOIRE (Culture et société) - Religions

    • Écrit par Marc PIAULT
    • 9 619 mots
    • 1 média
    Dans de nombreuses religions africaines, le créateur de toutes choses est la plupart du temps inaccessible au point que, si les hommes s'y réfèrent dans les mythes d'origine, ils ne s'adressent pratiquement jamais à lui. Chez les Dogon, le dieu créateur, Amma, est relativement présent, ses ...
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Voir aussi