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CHABROL CLAUDE (1930-2010)

Rien ne va plus

Film mal compris, Madame Bovary clôt une période chabrolienne. De tout temps, les héroïnes de Chabrol sont des Emma Bovary, et celle de Chabrol, incarnée par Isabelle Huppert, est bien une « bonne femme ». Des mouvements de caméra incessants annulent les élans romantiques intérieurs d'Emma par les regards que jettent sur elle les « réalistes ». Au lieu d'éloigner le réalisateur du monde contemporain, l'adaptation de Flaubert l'en rapproche et nous rappelle à quel point il est tout autant balzacien et chroniqueur de la société contemporaine. La période de l'Occupation lui a toujours paru capitale pour comprendre la France d'aujourd'hui. Déjà, Une affaire de femmes, d'après un fait authentique, lui avait permis de mettre le doigt sur les aspects les plus répressifs du régime de Vichy à travers deux phénomènes qui concernent toujours notre époque, au point que le film aura beaucoup de mal à être diffusé aux États-Unis : l'avortement et la peine de mort. Chabrol donne ensuite son unique documentaire à ce jour, L'Œil de Vichy : un montage des actualités cinématographiques produites par le gouvernement de Vichy sans jugement apparent ni commentaires, où se donnent à lire en creux l'idéologie et la propagande du régime.

L'héroïne de Betty, nouvelle adaptation de Simenon, magistralement interprétée par Marie Trintignant, n'est marquée d'aucune trace de « bovarysme » : croyant se régénérer d'un traumatisme culpabilisant, elle s'enfonce dans les eaux troubles des obsessions sexuelles et de l'alcool. Nul romantisme également dans cet enchaînement des trahisons – de ses origines, de son mari bourgeois et sa famille, de celle qui l'aide enfin à s'en sortir. Le Mal devient le thème central de cette dernière période, décliné des plus étranges façons. Pour Betty, le Mal est nécessaire à sa survie. Paul Prieur – retour du prénom maléfique –, le héros de L'Enfer, librement inspiré d'un scénario d'Henri Georges Clouzot, a un besoin pathologique du Mal, mais de celui qu'accomplirait sa jeune épouse Nelly : il la traque, cherchant à accumuler les preuves d'un adultère dont le spectateur n'aura pas plus que lui la preuve irréfutable.

Le social et le politique reviennent en effet en force dans les films les plus récents du réalisateur, mais de façon très différente des années 1960 et 1970. Le désir de se confondre avec la bourgeoisie mène les héros au désastre : Betty croit se laver de toute souillure en entrant dans la famille Etamble, qui la chassera cruellement. Paul Prieur, ancien serveur, rêve d'une grande hostellerie de luxe et épouse la plus jolie femme du pays : il est vite dépassé par un rêve qu'il ne maîtrise plus face à la concurrence commerciale ou sexuelle, réelle ou imaginaire. Il croit d'autant plus que Nelly lui ment que cela lui permet de se mentir à lui-même sur sa propre faillite.

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Écrit par

  • : critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux Cahiers du cinéma

Classification

Pour citer cet article

Joël MAGNY. CHABROL CLAUDE (1930-2010) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Stéphane Audran dans<em> Les Noces rouges</em>, de Claude Chabrol - crédits : Les Films de la Boetie/ BBQ_DFY/ Aurimages

Stéphane Audran dans Les Noces rouges, de Claude Chabrol

Autres références

  • LE BEAU SERGE, film de Claude Chabrol

    • Écrit par Michel MARIE
    • 945 mots

    Le Beau Serge est le premier long-métrage de la Nouvelle Vague. Le film est autoproduit par Claude Chabrol lui-même, avec l'argent d'un héritage familial. Il est réalisé en plein hiver 1957-1958, à Sardent, village de la Creuse où Chabrol (1930-2010), fils d'un pharmacien parisien du XIV...

  • MERCI POUR LE CHOCOLAT (C. Chabrol)

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 1 092 mots

    Avec L'Enfer (1994) et Au cœur du mensonge (1998), Merci pour le chocolat (2000), adapté du roman de Charlotte Armstrong, The Chocolate Cobweb, constitue le terme d'une trilogie dont le thème majeur est la suspicion. Merci pour le chocolat débute dans une ambiance d'apparente normalité...

  • AUDRAN STÉPHANE (1932-2018)

    • Écrit par Alain GAREL
    • 636 mots
    • 1 média

    Née Colette Dacheville le 8 novembre 1932 à Versailles, Stéphane Audran suit les cours d’art dramatique de Tania Balachova, Charles Dullin, Michel Vitold et René Simon. Elle épouse en 1954 Jean-Louis Trintignant, son condisciple du cours Simon, avec qui elle débute sur scène, en 1955, dans...

  • BLAIN GÉRARD (1930-2000)

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 588 mots

    Né le 23 octobre 1930 à Paris, Gérard Blain écourte très vite ses études et, dès 1943, fait de la figuration dans de nombreux films, comme Les Enfants du Paradis (1945), de Marcel Carné, ou Le Carrefour des enfants perdus (1944), de Léo Joannon. Il joue également au théâtre. Après son service...

  • BOUQUET MICHEL (1925-2022)

    • Écrit par Universalis, Joël MAGNY
    • 1 345 mots
    • 2 médias

    Pour le grand public cinéphile, Michel Bouquet se confond avec la silhouette arrondie, le regard étonné, faussement naïf, teinté d'une lucidité parfois perverse qui fait son succès à la charnière des années 1960-1970, dans les films de Claude Chabrol, d'Yves Boisset (L'Attentat...

  • CINÉMA (Aspects généraux) - Histoire

    • Écrit par Marc CERISUELO, Jean COLLET, Claude-Jean PHILIPPE
    • 21 694 mots
    • 41 médias
    ... dans le panthéon des grandes actrices « rivettiennes » ; ou encore Ne touchez pas la hache (2007), d'après La Duchesse de Langeais de Balzac. Claude Chabrol (1930-2010) est resté égal à lui-même, tant par la quantité de films réalisés (un par an depuis un demi-siècle) que par l'intérêt toujours...
  • Afficher les 7 références

Voir aussi