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CHABROL CLAUDE (1930-2010)

L'homme et la bête

Car le propos de Chabrol n'est pas plus d'ordre strictement social que psychologique. Les problèmes abordés dans La Femme infidèle comme dans Juste avant la nuit ne sont ni ceux de la société bourgeoise ni ceux du couple. Dans le premier, c'est par le crime, la transgression et un peu de folie que Charles Desvallées (Michel Bouquet) croit maintenir non pas son couple ou son bien-être matériel, mais l'harmonie d'un monde où le Bien ne s'opposerait plus au Mal. Dans le second, Charles Masson (M. Bouquet, là encore), une fois son meurtre commis, ne peut supporter de le voir étouffé par son entourage, au nom de l'idée qu'il se fait de sa souveraineté (au sens nietzschéen ou sadien). Tout autant que la bêtise ou la folie, la culture peut brouiller la subjectivité, mener au crime ou lui servir d'alibi. C'est le propos de Que la bête meure, qui cite l'Ecclésiaste : « Il faut que la bête meure, mais l'homme aussi. » Du simple complexe individuel à la folie, la société ou la morale, on passe, avec Le Boucher, à l'idée même de civilisation. En situant près des grottes préhistoriques de la Dordogne l'histoire de Popaul (Jean Yanne), le boucher assassin de jeunes femmes, amoureux de Mlle Hélène ( Stéphane Audran), l'institutrice qui refuse le corps au nom de l'esprit, Chabrol s'interroge sur le passage de l'animalité à l'humanité, de la nature à la culture.

C'est dans ce sens qu'il faut comprendre la satire sociale qui parcourt l'œuvre : dès Les Cousins, le cinéaste a trouvé à la fois son milieu (qu'il connaît bien) et sa cible : la grande bourgeoisie ou, pis, ceux qui y aspirent sans en avoir les moyens, de l'Albin (Jacques Charrier) de L'Œil du malin aux amants des Noces rouges. Imbue d'une supériorité qui la placerait au-dessus des lois, cette classe développe un système économique et idéologique qui mène à l'empoignade sordide (Le Scandale), au crime possessif (La Rupture), aux fléaux guerriers (Landru), ou à l'abus de pouvoir (L'Ivresse du pouvoir). L'analyse des mécanismes prédateurs sociaux se fait plus sereine, froide et cruelle dans Une affaire de femmes, où l'engrenage social mène une femme (Isabelle Huppert) à l'échafaud.

Mais l'ambition plus profonde du propos chabrolien était déjà sensible dans Marie-Chantal contre docteur Kha, où malgré les structures du film d'espionnage humoristique, le cinéaste se livrait à une réflexion métaphysique sur le Bien et le Mal, symbolisés par le bon docteur Lambaree et le méchant docteur Kha, qui ne faisaient qu'une seule et même personne. Le spectateur reste au cœur de la métaphysique chabrolienne : « Je constate une chose, c'est que les gens sont malheureux, et je voudrais que mes films les rendent plus heureux. Je ne dis pas meilleurs, je dis : plus heureux (ou moins malheureux). » Les Bonnes Femmes faisait du spectateur le véritable voyeur et auteur du crime final. Moins esthétiquement agressif, Masques développe le propos : ce ne sont plus aujourd'hui les religions, les morales ou les idéologies qui suscitent des illusions sources de malheur, mais l'univers médiatique, idée reprise dans le trop schématique Docteur M., en hommage à Fritz Lang.

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Écrit par

  • : critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux Cahiers du cinéma

Classification

Pour citer cet article

Joël MAGNY. CHABROL CLAUDE (1930-2010) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Stéphane Audran dans<em> Les Noces rouges</em>, de Claude Chabrol - crédits : Les Films de la Boetie/ BBQ_DFY/ Aurimages

Stéphane Audran dans Les Noces rouges, de Claude Chabrol

Autres références

  • LE BEAU SERGE, film de Claude Chabrol

    • Écrit par Michel MARIE
    • 945 mots

    Le Beau Serge est le premier long-métrage de la Nouvelle Vague. Le film est autoproduit par Claude Chabrol lui-même, avec l'argent d'un héritage familial. Il est réalisé en plein hiver 1957-1958, à Sardent, village de la Creuse où Chabrol (1930-2010), fils d'un pharmacien parisien du XIV...

  • MERCI POUR LE CHOCOLAT (C. Chabrol)

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 1 092 mots

    Avec L'Enfer (1994) et Au cœur du mensonge (1998), Merci pour le chocolat (2000), adapté du roman de Charlotte Armstrong, The Chocolate Cobweb, constitue le terme d'une trilogie dont le thème majeur est la suspicion. Merci pour le chocolat débute dans une ambiance d'apparente normalité...

  • AUDRAN STÉPHANE (1932-2018)

    • Écrit par Alain GAREL
    • 636 mots
    • 1 média

    Née Colette Dacheville le 8 novembre 1932 à Versailles, Stéphane Audran suit les cours d’art dramatique de Tania Balachova, Charles Dullin, Michel Vitold et René Simon. Elle épouse en 1954 Jean-Louis Trintignant, son condisciple du cours Simon, avec qui elle débute sur scène, en 1955, dans...

  • BLAIN GÉRARD (1930-2000)

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 588 mots

    Né le 23 octobre 1930 à Paris, Gérard Blain écourte très vite ses études et, dès 1943, fait de la figuration dans de nombreux films, comme Les Enfants du Paradis (1945), de Marcel Carné, ou Le Carrefour des enfants perdus (1944), de Léo Joannon. Il joue également au théâtre. Après son service...

  • BOUQUET MICHEL (1925-2022)

    • Écrit par Universalis, Joël MAGNY
    • 1 345 mots
    • 2 médias

    Pour le grand public cinéphile, Michel Bouquet se confond avec la silhouette arrondie, le regard étonné, faussement naïf, teinté d'une lucidité parfois perverse qui fait son succès à la charnière des années 1960-1970, dans les films de Claude Chabrol, d'Yves Boisset (L'Attentat...

  • CINÉMA (Aspects généraux) - Histoire

    • Écrit par Marc CERISUELO, Jean COLLET, Claude-Jean PHILIPPE
    • 21 694 mots
    • 41 médias
    ... dans le panthéon des grandes actrices « rivettiennes » ; ou encore Ne touchez pas la hache (2007), d'après La Duchesse de Langeais de Balzac. Claude Chabrol (1930-2010) est resté égal à lui-même, tant par la quantité de films réalisés (un par an depuis un demi-siècle) que par l'intérêt toujours...
  • Afficher les 7 références

Voir aussi