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CLASSES SOCIALES Classe ouvrière

De la classe ouvrière aux mondes ouvriers

La marginalisation des ouvriers s'opère d'abord dans les représentations collectives et la vie politique. Alors que le référent « classe ouvrière » était au cœur des mouvements sociaux du xxe siècle, notamment lors du Front populaire ou de Mai-68, on observe depuis les années 1970 son retrait progressif des débats idéologico-politiques. Ce processus s'ancre dans le déclin des organisations qui entendaient représenter les mondes ouvriers, en particulier le P.C.F. et la C.G.T. qui ont contribué à son homogénéisation symbolique ainsi qu'à sa visibilité publique. Non seulement les organisations ouvrières ont perdu, en déclinant, leur socle sociologique ouvrier mais elles ont également abandonné cette marque dans leur discours. Les partis politiques ont cessé de faire de la classe ouvrière une cible prioritaire ; ils se sont tournés vers les chômeurs, les habitants des quartiers, les « sans ». Par conséquent, le débat public délaisse la question sociale au profit de « problèmes », comme l'« immigration » ou les « exclus », reflétant surtout les préoccupations des gouvernants et des experts.

Sans « nous » collectif, la classe ouvrière tend à être réduite à une simple donnée statistique. Elle perd la singularité idéologique dont elle était porteuse pour être appréhendée comme une catégorie socioprofessionnelle parmi d'autres, voire secondaire puisqu'elle est statistiquement en régression. La principale caractéristique contemporaine de la classe ouvrière est ainsi son invisibilité. Une invisibilité reproduite par les intéressés eux-mêmes puisque la revendication d'appartenance à la classe ouvrière est en nette diminution, surtout pour les jeunes, les salariés du privé et les individus les plus inscrits, familialement, dans les mondes ouvriers. L'évolution des dénominations indigènes est un signe de cette évolution : le terme « opérateur » déclasse progressivement celui d'ouvrier dans les propos des intéressés eux-mêmes, en particulier des jeunes.

Parallèlement à cet affaiblissement idéologique et subjectif de la classe ouvrière, la pertinence scientifique du concept de classe sociale est remise en question dans les années 1970-1980 alors même qu'il était auparavant une référence centrale. La notion d'individu a souvent remplacé celle de classe comme principale grille de lecture de la réalité sociale. Dominent alors des représentations d'un monde social atomisé, fonctionnant en réseaux et mobilisant des acteurs sociaux, où l'exclusion et non l'exploitation constitue l'enjeu social central. Or les situations d'invalidation sociale que l'on appelle exclusion correspondent à l'expérience collective de groupes ; la pauvreté d'assistance s'inscrit dans une continuité avec la précarité au travail. Plus généralement, de nombreux travaux soulignent aujourd'hui l'existence de fortes inégalités, du poids des contraintes liées à l'origine sociale et de la permanence de rapports de domination depuis la fin des années 1970. Les formes de mobilité sociale permises par la forte croissance de l'après-guerre se réduisent en temps de crise. Le phénomène dominant reste la reproduction sociale : derrière les changements affectant la condition ouvrière, la position des ouvriers reste celle de dominés au sein des différentes hiérarchies.

Cependant on ne peut pas s'en tenir là au seul constat désabusé de « la fin des classes sociales » ou de l'essor de l'individualisme. Il faut aussi évoquer la fragilisation de la culture de classe qui résulte notamment des nouveaux modes de fonctionnement du travail et de la dispersion géographique du groupe ouvrier. Les clivages sociaux restent forts, simplement ils n'ont plus la même lisibilité[...]

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Écrit par

  • : chargé de recherche en sociologie, Institut national de la recherche agronomique (Centre d'économie et sociologie appliquées à l'agriculture et aux espaces ruraux), Dijon
  • : chargé de recherche, Institut national de la recherche agronomique, première classe, chercheur associé au C.M.H.- E.T.T.

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