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CHROMODYNAMIQUE QUANTIQUE

La liberté asymptotique des quarks et des gluons

L’intensité des couplages d’une théorie quantique des champs présente une caractéristique très surprenante, mais bien comprise. En électromagnétisme, l’interaction de deux particules chargées (le couplage est ici identique à la charge électrique) est une force proportionnelle au produit des charges ; en électrodynamique quantique, il faut tenir compte d’un phénomène nouveau, la capacité d’apparition éphémère de paires électron-positron dans le vide conduit à un phénomène d’écrantage (donc d’atténuation) des charges. Plus les charges sont éloignées, plus ce phénomène est efficace et on est donc conduit à définir une charge effective qui dépend de la distance entre les particules. Le couplage de l’électrodynamique quantique décroît avec la distance, phénomène mesuré expérimentalement avec une grande précision.

Dans le cas de la chromodynamique, des calculs théoriques ont montré en 1973 que ce phénomène d'écrantage des charges est inversé : l'interaction entre deux quarks faiblit lorsque leur distance décroît. Cette décroissance n’est pas rapide, elle varie comme l’inverse de la racine carrée du logarithme de la distance lorsque cette distance est petite. Ce résultat, obtenu simultanément et indépendamment par deux brillants étudiants américains, David Politzer (né en 1949) et Franck Wilczek (né en 1951), leur vaudra le prix Nobel de physique en 2004, partagé avec le directeur de thèse du second, David Gross (né en 1941). Cette décroissance a été confirmée par de nombreuses mesures.

Cette propriété (appelée liberté asymptotique, puisque l’interaction tend vers 0 lorsque la distance tend elle-même vers 0) explique pourquoi un processus physique qui sonde l’intérieur d’un proton avec un très grand pouvoir de résolution permet de distinguer des quarks quasiment libres bien que restant confinés dans le proton. C’est exactement ce que l’expérience effectuée en 1967-1968 à l’accélérateur linéaire à électrons de Stanford (le SLAC) avait observé : dans certaines configurations, les électrons rebondissent sur des particules à l’intérieur des protons, selon des lois de probabilité caractéristiques des collisions avec des particules libres. Comme Rutherford distinguant en 1909 le noyau au cœur de l’atome grâce au comportement des rayons α qui le bombardaient, l’équipe de Richard Taylor (1929-2018, prix Nobel 1990) au SLAC distinguait des « partons » dans le proton, ce qui paraissait tout à fait paradoxal puisque les quarks sont tellement liés entre eux, qu'on n'est jamais parvenu à les isoler.

Le fait que la charge effective de la CDQ, qu’on note αS = g2/4π, l'équivalent de la constante électromagnétique de structure fine α = e2/4π, devient suffisamment petite à courte distance permet d’utiliser la méthode perturbative développée avec grand succès dans le cas de l’électrodynamique quantique : cette méthode consiste à prendre en compte progressivement dans le calcul d’un observable les conséquences de l’émission d’un gluon, puis de deux gluons, et ainsi de suite. Son utilisation depuis les années 1970 a permis de soumettre la chromodynamique à de multiples tests expérimentaux dont les succès répétés fondent la confiance des physiciens dans la pertinence de cette théorie.

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Écrit par

  • : directeur de recherche émérite au CNRS, centre de physique théorique de l'École polytechnique, Palaiseau

Classification

Pour citer cet article

Bernard PIRE. CHROMODYNAMIQUE QUANTIQUE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Les particules élémentaires - crédits : Encyclopædia Universalis France

Les particules élémentaires

Intérieur d’un proton - crédits : Encyclopædia Universalis France

Intérieur d’un proton

Couplages élémentaires de la chromodynamique quantique - crédits : Encyclopædia Universalis France

Couplages élémentaires de la chromodynamique quantique

Autres références

  • PARTICULES ÉLÉMENTAIRES

    • Écrit par Maurice JACOB, Bernard PIRE
    • 8 172 mots
    • 12 médias
    ...C'est le cas de la théorie électrofaible qui regroupe l'électrodynamique quantique et l'interaction faible. C'est aussi le cas de la chromodynamique quantique qui décrit l'interaction forte au niveau des quarks et des gluons. Ces théories sont plus complexes et généralisent l'électrodynamique...
  • AXIONS

    • Écrit par Bernard PIRE
    • 2 118 mots
    • 2 médias
    ...catalogue des objets élémentaires n’est pas la conséquence d’une observation, mais au contraire, de l’analyse des propriétés mathématiques d’une théorie, la chromodynamique quantique (QCD, pour Quantum ChromoDynamics), construite au début des années 1970 pour rendre compte des manifestations de l’interaction...
  • BOSONS ET FERMIONS

    • Écrit par Bernard PIRE
    • 1 709 mots
    ...électromagnétique et le gluon celui des interactions nucléaires fortes selon leurs descriptions modernes par, respectivement, l’électrodynamique et la chromodynamique quantiques. Leurs masses nulles semblent liées à une propriété de symétrie (dite de jauge) des forces qu’ils véhiculent. Avec les bosons...
  • CHAMPS THÉORIE DES

    • Écrit par Bernard PIRE
    • 4 463 mots
    • 1 média
    La chromodynamique, théorie des interactions fortes dont les champs fondamentaux sont les triplets de quarks et un octet de gluons est construite sur le même principe, l'invariance de jauge étant cette fois fondée sur le groupe SU(3). Une de ses intéressantes propriétés est que le phénomène...
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