CHINOISE (CIVILISATION)La pensée chinoise
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Depuis des temps qui se perdent aux origines légendaires, la mentalité chinoise est soutenue et sous-tendue par ce que l'on peut, faute de mieux, appeler une doctrine.
Doctrine forte et profonde qui justifie l'histoire entière de la Chine, mais sans laquelle un monde s'écroule pour ne laisser subsister qu'une poussière de faits dans un désordre inexplicable. Aucune analyse socio-économique ne saurait éluder ce complexe cosmologique de thèmes et variations qui ne ressemblent en rien aux propositions induites de l'expérimentation par nos sciences de la nature. Il s'agit d'une emblématique en mode profus de l'univers et de l'homme, à laquelle toute expérience sert d'exemple, comme un paradigme à la règle qu'il expose in concreto.
Pendant des dizaines de siècles, cette doctrine a animé la pensée et la vie des Chinois jusque dans les plus menus détails des conduites quotidiennes ; et il n'est pas certain qu'elle soit tout à fait effacée dans la Chine d'aujourd'hui. Il n'est pas simple pour autant de l'approcher. Encore moins de la définir, car si les Chinois excellent à montrer, à désigner, à découvrir des concordances et des analogies, rien ne leur répugne plus que la définition.
Il faut en outre souligner qu'il n'existe pas de faits isolés aux yeux des Chinois : tout est contexte et partie de contexte ; et tout sans cesse fonctionne. Rien n'est stable et fixé. Tout dure ; mais rien ne dure qui ne change et ne devienne. De là, il est aisé de comprendre que la triade immémoriale tiandiren, « le ciel, la terre et l'homme » – notation lapidaire et sceau chinois de quelque idée et de quelque œuvre que ce soit – indique une façon de voir le monde, nommée plus haut doctrine, mais qui, paradoxalement, ne s'embarrasse d'aucun corps doctrinal parce qu'elle n'en a pas besoin. Rébus, textes métaphoriques conservés dans la vénération quoique bourrés d'apocryphes – ce qui laisse les Chinois parfaitement indifférents –, allégories, apologues, récits et anecdotes, dialogues attribués à d'illustres personnages de l'histoire mythique, gloses, commentaires, polémiques, voilà les matériaux à travers quoi l'on dépiste une pensée qui fuit le concept et abhorre le développement du raisonnement linéairement ordonné. Dans les vieux textes, pleins de joyaux obscurs, faits pour luire des seules lumières jetées par le lecteur, mais transformées en superbes éclats, la copule formelle « être », shi, n'apparaît pour ainsi dire jamais. Ou bien elle est purement et simplement négligée, ou bien c'est you, « il y a », renvoyant au contexte d'existence, qui en tient lieu. Il convient d'admettre, si l'on veut tenter de pénétrer la mentalité chinoise, qu'elle a de l'identité une appréhension différente de la nôtre.
Le ciel, la terre et l'homme
Aussi loin qu'on remonte dans le passé, le consensus sinicus tient l'univers pour un immense organisme auquel il est insensé de chercher une origine et une cause, une forme et des limites, un sens et une fin. En un mot, il ne s'inquiète point de ne pas le comprendre. Que l'homme assiste et participe à l'existence transitoire des « dix mille choses » n'entraîne pas la supposition qu'il faille y comprendre quelque chose, ni même qu'il y ait quelque chose à comprendre. Par là s'explique chez les Chinois l'absence de religiosité, leur prudence et leur modestie devant le spectacle de la nature et le peu de développement des sciences positives jusqu'au xxe siècle. Pourtant, curieux à l'extrême, s'ils ne s'attachent pas à découvrir ce que sont et comment sont les choses, ils s'efforcent d'observer ces choses tandis qu'elles vont, se font et se défont.
Il s'agit de montrer, nullement de démontrer ; de laisser paraître, puis de classer des phénomènes, insignifiants par eux-mêmes, mais qui ressortissent à des cycles, à des alternances et à des rythmes, à des associations, à des correspondances organisées par une double numérologie (dénaire et duodénaire). Ces relations et ces variations, loin d'être abstraites, sont pour les Chinois la réalité même, rendue évidente à travers l'infinité d'exemples qui la manifestent. À la voir appliquée à des objets dotés de si peu d'autonomie, on s'étonnerait à tort de ce qui fut une véritable passion classificatrice propre au goût chinois : classer n'est là qu'une démarche pratique, voire commode. Nous sommes dans le domaine de l'utilité, de l'habileté, non dans celui de la science. Il est question d'ordonnancement et d'accords, pas du tout de taxonomie. Rien [...]
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Écrit par :
- Claude GRÉGORY : fondateur d'Encyclopædia Universalis et directeur de la première édition
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Pour citer l’article
Claude GRÉGORY, « CHINOISE (CIVILISATION) - La pensée chinoise », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 01 février 2023. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/chinoise-civilisation-la-pensee-chinoise/