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LABROUSSE CAMILLE-ERNEST (1895-1988)

« Je suis un Bleu de l'Ouest », disait Camille-Ernest Labrousse. Il était né le 16 mars 1895 à Barbezieux, en Charente, d'une famille d'artisans et de commerçants. Ses ancêtres étaient maréchaux-ferrants, et son père, tailleur et marchand de draps ; milieu républicain, radical, laïc, voire franc-maçon, lecteur de Victor Hugo et de Michelet, admirateur de la Révolution française, dont C.-E. Labrousse dira : « Elle a été la fidélité de toute ma vie. » Dès quinze ans, avec des camarades de classe, il fonde un Club des jacobins qui édite un journal, L'Avenir ; en exergue, la phrase de Pierre Gaspard Chaumette : « Quand le pauvre n'aura plus rien à manger, il mangera le riche. » Pourtant, en ce début de siècle, l'anarchisme s'affirme comme l'engagement le plus séduisant pour une jeunesse hantée par l'inégalité de la soi-disant « Belle-Époque ». C.-E. Labrousse est secrétaire de la Fédération anarchiste communiste de l'Ouest, et il écrit dans Le Libertaire de Sébastien Faure. « Monté » à Paris en 1912, il entreprend des études d'histoire à la Sorbonne et, sous la direction d'Alphonse Aulard, des recherches sur la Terreur. La guerre l'empêche de passer l'agrégation. Mobilisé en 1914, gravement malade, il est réformé en 1915, puis nommé au lycée de Rodez. En 1917, il épouse la fille d'un notable bordelais.

Ce faisant, C.-E. Labrousse évolue ; il adhère à la S.F.I.O. et écrit dans L'Humanité (1919-1924). Attiré par la révolution russe, il fait partie du courant majoritaire qui, en 1920, provoque la scission du P.C.F. Mais, hostile à la bolchevisation du parti, il le quitte en 1925 pour n'y plus revenir. Le socialisme démocratique, celui de la Ligue des droits de l'homme et de Jaurès, est désormais son horizon ; retour à la S.F.I.O. en 1938, Résistance aux côtés d'Amédée Dunois, travail aux côtés de Léon Blum après la guerre, rédaction en chef de la Revue socialiste (1948-1954), passage au P.S.A., puis au P.S.U. (1958) par hostilité à la guerre d'Algérie indiquent un intérêt politique relativement rare dans le monde universitaire.

L'actualité fut une préoccupation constante de C.-E. Labrousse ; profondément ancrée dans la conjoncture, son œuvre fut, d'une certaine manière, une tentative pour répondre aux grands problèmes du temps qui l'a enfantée. Ce sont d'abord et avant tout les deux grands livres solidaires : Esquisse du mouvement des prix et des revenus en France au XVIIIe siècle (2 vol., Dalloz, Paris, 1933), sa thèse de droit ; La Crise de l'économie française à la fin de l'Ancien Régime et au début de la Révolution (t. I : Aperçus généraux. Sources, méthode, objectifs. La crise de la viticulture, P.U.F., Paris, 1944), sa thèse d'histoire, « le plus grand ouvrage historique de notre temps [...], le plus beau aussi, en raison de son écriture élégante et juvénile », selon F. Braudel. Dans le premier, il donne un modèle d'étude sérielle à la manière de François Simiand dont il avait assimilé les leçons d'analyse quantitative et de recherche des corrélations. Derrière les mouvements saisonniers et les cycles, il discerne l'épaisseur du mouvement long et notamment de la croissance qui caractérise « la splendeur de Louis XV » avant le retournement conjoncturel qui sous-tend « le déclin de Louis XVI ». La Crise, c'est celle du temps court des années 1780, marquées par l'effondrement des prix et des revenus, notamment viticoles, rupture dramatique qui met en branle un prolétariat rural et urbain déjà paupérisé par l'écart croissant entre la rente et le salaire discerné dans le premier livre. 1789 est ainsi à la fois révolution de la prospérité, génératrice d'une élite urbaine avide de liberté des marchés, et révolution de la misère.[...]

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Pour citer cet article

Michelle PERROT. LABROUSSE CAMILLE-ERNEST (1895-1988) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ANCIEN RÉGIME

    • Écrit par Jean MEYER
    • 19 103 mots
    • 3 médias
    ...forte raison si le fisc s'en mêle. D'ailleurs, n'est-il pas significatif que l'étude quantitative de l'Ancien Régime ait commencé, avec F. Simiand et E. Labrousse, par l'établissement des courbes des prix, premier procédé statistique mis en place par l'administration du xviiie siècle ? Statistiques...
  • ANNALES ÉCOLE DES

    • Écrit par Bertrand MÜLLER
    • 3 324 mots
    • 1 média
    Pour Braudel et pour les historiens de sa génération, la clé de la compréhension demeure cependant l'économie. Camille-Ernest Labrousse, l'autre figure qui s'impose au lendemain de la guerre propose, lui aussi, dans le sillage des travaux de sociologie économique de Simiand, un modèle interprétatif...
  • CRISES ÉCONOMIQUES

    • Écrit par Jean-Charles ASSELAIN, Anne DEMARTINI, Pascal GAUCHON, Patrick VERLEY
    • 21 855 mots
    • 14 médias
    ...ce mal séculaire. Qu'elle eût ou non des aspects démographiques, la conjoncture des « bleds » n'en dominait pas moins encore la vie économique. Camille- Ernest Labrousse a proposé de construire, à partir de l'analyse des mauvaises récoltes de 1788-1789, un modèle de la crise d'« ancien régime économique...
  • ÉVÉNEMENT, histoire

    • Écrit par Olivier LÉVY-DUMOULIN
    • 1 367 mots
    ...au statut de manifestations visibles de ruptures de l'équilibre ou des rétablissements de celui-ci (K. Pomian, L'Ordre du temps). De son côté, Ernest Labrousse fonde une histoire économique qui repose sur le refus de l'événement classique, puisque « à la différence de ce qu'on observe dans d'autres...
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Voir aussi