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CABINET DE CURIOSITÉS ou WUNDERKAMMER

L’objet magnifié

Les premières collections de singularités mémorables, réunies dans des églises, enchâssaient des reliques dans des ostensoirs fastueux et suspendaient aux voûtes des crocodiles gigantesques ou des os de baleine, parfois considérés comme des os de géants ou de dragons. Lesreliquesrappelaient aux fidèles les actes valeureux d’un saint local les ayant délivrés du mal et de la bête immonde, désormais enchaînée mais toujours effrayante. Exorciser l’effroi en l’accrochant au mur, immobiliser l’étrangeté sur une étagère, s’approprier l’énigmatique pour le dompter restent des modèles partagés par les premiers cabinets de curiosités. De fait, la mise en scène d’un crocodile suspendu au plafond reste un invariant longtemps reconnaissable dans les expositions de curiosités.

<em>Cabinet d’art et de curiosités</em>, Frans Francken II le Jeune. - crédits : Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

Cabinet d’art et de curiosités, Frans Francken II le Jeune.

Au xviie siècle, la représentation s’uniformise encore dans le sens d’un assortiment esthétique pluriel manifesté sur les nombreux tableaux – tous très ressemblants – des « cabinets d’amateur » réalisés par les Francken aux Pays-Bas : les murs où s’alignent des tableaux à sujets religieux ou mythologiques sont ponctués d’accrochages d’hippocampes et d’animaux naturalisés, les tables croulent sous les globes terrestres, les monnaies antiques, bijoux, statuettes ou coquillages, tandis que de nobles visiteurs achètent peut-être des objets ou échangent des propos savants.

Au début du xxie siècle, la muséographie s’empare du modèle de l’accrochage foisonnant qui séduit sans doute pour son éclectisme anticonformiste et peu soucieux, en apparence, des règles de l’académisme. L’art contemporain y trouve son compte dans des installations privilégiant à la fois la sérialité de la collection, l’hybridation des formes et le mystère de certains appariements énigmatiques : le château d’Oiron a donné ce cahier des charges aux artistes sollicités pour l’occuper, le musée de la Chasse et de la Nature s’en inspire. Certaines expositions emboîtent le pas, plongeant éventuellement le visiteur dans une pénombre qui renforce le caractère déconcertant des choix et insiste sur la surprise des juxtapositions (Bêtes off à la Conciergerie de Paris en 2012, Carambolages au Grand Palais en 2016).

Pénétrant plus encore dans l’espace public, le cabinet de curiosités est devenu un véritable phénomène de mode dont chacun est incité à s’emparer grâce à des méthodes déclinées dans les boutiques de décoration ou dans les magazines. Cette dérive marchande et décorative répond sans doute à un goût accru pour l’exposition de soi, esthétisée et fortement individualisée, s’épanouissant à travers une patrimonialisation personnelle non prescrite par l’histoire de l’art. C’est assurément soi-même que l’on met en scène à travers ce goût pour l’hétéroclite. Ce retour des cabinets de curiosités dit enfin à sa manière la puissance, dans la société de consommation, de l’objet « culte ».

— Myriam MARRACHE-GOURAUD

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Écrit par

  • : maître de conférences en littérature française de la Renaissance, université de Bretagne occidentale, Brest

Classification

Pour citer cet article

Myriam MARRACHE-GOURAUD. CABINET DE CURIOSITÉS ou WUNDERKAMMER [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<em>Statuette de Daphné</em>, W. Jamnitzer - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Statuette de Daphné, W. Jamnitzer

Cabinet de curiosités de Ferrante Imperato, Naples - crédits : Collection BIU Santé Medecine, cote : RES 6004

Cabinet de curiosités de Ferrante Imperato, Naples

<em>Cabinet d’art et de curiosités</em>, Frans Francken II le Jeune. - crédits : Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

Cabinet d’art et de curiosités, Frans Francken II le Jeune.

Autres références

  • COLLECTIONNISME

    • Écrit par Olivier BONFAIT
    • 11 945 mots
    • 23 médias
    ...vel Tituli theatri Amplissimi (Munich, 1565) qui s'appuie pour la justifier sur l'art de la mémoire et l'Histoire naturelle de Pline : la collection rassemble à la fois un Wunderkammer (cabinet des merveilles) et un Kunstkammer (la chambre des œuvres des métiers d'art, art étant compris...
  • COMMERCE DES FOSSILES

    • Écrit par Eric BUFFETAUT
    • 2 938 mots
    • 3 médias
    ...disparu au xviiie siècle, mais leur commerce n’a pas cessé pour autant. Dès la Renaissance, en effet, ces objets ont figuré en bonne place dans les cabinets de curiosités, dont les propriétaires ont principalement constitué les collections par des achats. Lorsqu’il a été généralement admis, vers la...
  • CURIOSITÉ, histoire de l'art

    • Écrit par Marie-José MONDZAIN-BAUDINET
    • 1 298 mots

    Le dictionnaire de Trévoux (1771) donne en trois mots les composantes de la curiosité, « Curiosus, cupidus, studiosus » : l'attention, le désir, la passion du savoir. Il est étonnant que, dès les origines, le mot désigne à la fois l'état du sujet et la nature de l'objet, et qu'il soit toujours...

  • MÉCÉNAT

    • Écrit par Nathalie HEINICH, Luigi SALERNO
    • 6 952 mots
    • 2 médias
    ...véritables banques de gages. Outre les collections d'objets précieux, les monastères s'adonnent aussi aux collections scientifiques, dont le modèle est la Wunderkammer, collection de spécimens du monde animal, du monde végétal, du monde minéral, effectuée dans la perspective du musée comme microcosme...
  • Afficher les 8 références

Voir aussi