STORA BENJAMIN (1950- )
Benjamin Stora est un historien français spécialiste de l’histoire de l’Algérie contemporaine. Son œuvre, qui compte des dizaines de livres et de films, porte essentiellement sur le nationalisme algérien, la guerre d’Algérie, puis sur leurs mémoires croisées dans la longue durée, en France et en Algérie. En dépit d’une solide formation marxiste, il a rompu avec l’histoire anticolonialiste matérialiste des années 1970 et 1980 et a introduit deux types de sources et de problématiques inédites en la matière : les archives et les récits des acteurs et témoins du nationalisme algérien – notamment Messali Hadj, son fondateur, proche du trotskisme –, grâce au recours à l’histoire orale ; et les territoires de la mémoire et du refoulement, comme l’ont pratiqué les historiens de la Seconde Guerre mondiale.
Benjamin Stora est né le 2 décembre 1950 à Constantine, préfecture du département français de l’Est algérien, dans une famille juive naturalisée dès 1867, avant le décret Crémieux. Originaire de Khenchela (Aurès), celle-ci serait installée en Afrique du Nord depuis l’Antiquité. Au moment de sa naissance, sa famille, des commerçants du quartier juif de la ville, est francisée, même si les traditions juives d’Algérie se perpétuent. C’est dans ce milieu qu’il vit sa guerre d’Algérie jusqu’à l’âge de douze ans. Benjamin Stora et ses parents font partie des « rapatriés » de l’été 1962 ; ils s’installent à Paris, puis à Sartrouville dans un HLM, en pays inconnu. À la perte de leurs repères s’ajoutent un déclassement social brutal et la honte des origines dans une France qui ne veut plus entendre parler d’Algérie. Benjamin Stora et sa sœur aînée se réfugient dans le travail et obtiennent le baccalauréat. Tous deux se destinent à une carrière d’historien.
Parallèlement à ses études (il obtient un doctorat en histoire puis en sociologie) et recherches d’histoire universitaires, jamais interrompues jusqu’à son élection comme maître de conférences à Paris VIII en 1986 – qui le conduisent à fréquenter René Rémond puis Charles-Robert Ageron, son maître et principal directeur de thèse –, Stora entame une longue carrière de militant politique révolutionnaire.
Le mouvement de Mai-68 survient alors que Benjamin Stora est en terminale à Saint-Germain-en-Laye. L’année suivante, inscrit à l’université de Nanterre, il adhère à l’Alliance des jeunes pour le socialisme, l’organisation de jeunesse de l’Organisation communiste internationaliste (OCI), branche lambertiste du trotskisme français. Proche de Pierre Boussel (alias Lambert), il prend la tête de l’organisation étudiante de l’OCI – deux mille militants sont sous ses ordres à la fin des années 1970 – et est un des principaux acteurs de la réunification syndicale qui donne naissance à l’UNEF-ID en 1980. Il est membre du comité directeur de l’OCI et se lie d’amitié à cette époque avec des militants qui feront une carrière politique nationale (comme Jean-Christophe Cambadélis ou Julien Dray) et avec des trotskistes du Maghreb.
Benjamin Stora, qui a raconté ces épisodes fondateurs dans des autobiographies, prend du recul au milieu des années 1980 avec ce qu’il qualifiera a posteriori d’engagement sectaire. Avec Jean-Christophe Cambadélis, il embarque plus de quatre cents militants de l’OCI vers le Parti socialiste, avec l’aval de François Mitterrand. En 1985, on le retrouve dans le courant Convergences socialistes. Le rôle de cette « génération Mitterrand » dans la transformation de l’idéologie de la gauche française est capital. Contesté pour son programme économique socialiste, Mitterrand fait le choix de l’antiracisme : les immigrés et le multiculturalisme remplacent l’ouvriérisme militant. Le rôle de l’historien, parmi quelques autres, est emblématique. Sa thèse d’État, soutenue à Paris VIII en 1991, consacrée à l’immigration algérienne en France (Ils venaient d’Algérie), est au cœur de ces mutations idéologiques et politiques.
À ce tournant de sa carrière, Benjamin Stora donne la priorité à l’université : il faut désormais écrire l’histoire de l’Algérie et des Algériens, d’ici et de là-bas. Au mitan des années 1980, la « dernière génération d’octobre » (B. Stora) se disperse entre la politique, la création, le journalisme, la communication et l’enseignement supérieur. Bien qu’ayant rompu avec le militantisme pour des raisons familiales (la perte de sa fille, âgée de douze ans, en 1992), intellectuelles (avec René Gallissot, il codirige l’Institut Maghreb-Europe, créé en 1990 alors que Lionel Jospin est ministre de l’Éducation nationale, au sein de Paris VIII, où il est élu, aux côtés de Gallissot et de Mohammed Harbi, professeur d’histoire contemporaine en 1993) et historiques (l’effondrement du parti-État-FLN en Algérie en octobre 1988), Benjamin Stora fait irruption sur la scène médiatique et intellectuelle française.
En 1991, il publie son maître livre, La Gangrène et l’oubli. La mémoire de la guerre d’Algérie, qui décortique trente ans de traumatismes de la mémoire algérienne en France et de la France en Algérie. Or l’année suivante, une atroce guerre civile éclate entre islamistes et militaires algériens. La gauche et plus largement la classe politique françaises, désorientées, ne comprennent pas la situation en Algérie, et moins encore en quoi la France est concernée, ni pourquoi la guerre déborde en France par l’idéologie et le terrorisme. Benjamin Stora devient l’inlassable interprète de l’actualité algérienne, du traumatisme historique des « porteurs de mémoire » de la première « guerre d’Algérie » (reconnue officiellement comme telle en 1999), gagnant peu à peu l’estime des Algériens.
Au fil des décennies, l’historien, qui publie plus de quarante livres sous son seul nom sur cette – et « son » – histoire, est devenu un historien médiatisé et un interlocuteur politique écouté. Les présidents français le consultent, l’honorent, l’emmènent en voyage officiel en Algérie, où son aura est grande. Présenté par Paris-Match en 2012 comme « l’historien du président », Benjamin Stora est nommé par François Hollande à la présidence du Conseil d’orientation de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration. Enfin, en 2020, Emmanuel Macron lui confie une mission sur « la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie » afin de favoriser « la réconciliation entre les peuples français et algérien ». Une vaste tâche à laquelle il œuvre depuis trente ans, non sans s’attirer de vives critiques politiques ou intellectuelles.
Bibliographie
B. Stora, Messali Hadj, 1898-1974, Le Sycomore, Paris, 1982 (rééd. sous le titre Messali Hadj, pionnier du nationalisme algérien, 1898-1974, L’Harmattan, Paris, 1986 ; Fayard, Paris, 2012) ; Dictionnaire biographique de militants nationalistes algériens, 1926-1954, préface de M. Harbi, L’Harmattan, 1985 ; La Gangrène et l’oubli. La mémoire de la guerre d’Algérie, La Découverte, Paris, 1991, nouv. éd. 2005 ; Ils venaient d’Algérie. L’immigration algérienne en France, 1912-1992, Fayard, 1992 ; Appelés en guerre d’Algérie, coll. « Découvertes », Gallimard, Paris, 1997 ; La Guerre invisible. Algérie, années 90, Presses de Sciences Po, Paris, 2001 ; La Dernière Génération d’octobre, Stock, Paris, 2003 ; Les Trois Exils, Juifs d’Algérie, Stock, 2006, nouv. éd. 2011 ; Histoire de l’Algérie : xixe et xxe siècles, La Découverte, 2012 ; La Guerre d’Algérie expliquée en images, Seuil, Paris, 2014 ; Une mémoire algérienne, Robert Laffont, Paris, 2020
B. Stora & F. Malye, François Mitterrand et la guerre d’Algérie, Calmann-Lévy, Paris, 2010
B. Stora & A. Jenni, Les Mémoires dangereuses ; suivi d’une nouvelle édition de Transfert d’une mémoire, Albin Michel, Paris, 2016
B. Stora & M. Harbi dir., La Guerre d’Algérie, 1954-2004. La fin de l’amnésie, Robert Laffont, 2004
B. Stora & A. Meddebdir., Histoire des relations entre juifs et musulmans des origines à nos jours, Albin Michel, 2013.
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Écrit par
- Pierre VERMEREN : professeur des Universités, université Paris-I-Panthéon-Sorbonne
Classification
Média
Autres références
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COLONISATION (débats actuels)
- Écrit par Myriam COTTIAS
- 3 253 mots
- 3 médias
C'est à la faveur de ces transformations qu'émergent donc, dans les années 1970, des revendications de reconnaissance de« mémoires coloniales blessées » (Benjamin Stora, La Guerre des mémoires : la France face à son passé colonial. Entretiens avec Thierry Leclère, 2007). En France, portées...
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