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CROCE BENEDETTO (1866-1952)

Le dernier Croce

Après 1931, la pensée de Croce ne subira plus guère de modifications ; toutefois, La Storia come pensiero e come azione (1938), et La Poesia (1936) semblent témoigner d'un certain renouvellement.

Il expose dans le premier de ces ouvrages son historicisme absolu : l'histoire englobe toutes les activités de l'esprit, elle est affirmation de la créativité et de la liberté humaines. L'homme doit lutter pour éviter qu'une des catégories n'envahisse l'esprit et ne donne lieu à l'esthétisme, à l'intellectualisme, à l'utilitarisme ou au moralisme. Il doit s'opposer avec plus de force encore à la menace des « contraires » : laid, faux, « vital », mal. C'est ce combat sans cesse renouvelé et jamais totalement victorieux qui donne son sens à la vie. Croce aboutit ainsi à une sorte de religion de l'activité humaine, assez fortement teintée de stoïcisme.

La Poesia reprend le concept de totalité de l'art. Cependant, les scories intellectualistes ou moralistes ne donnent plus lieu à des œuvres négatives, mais à des œuvres belles à leur manière (« littérature »), et dont les meilleurs exemples sont les Essais de Montaigne, Le Prince de Machiavel, et même Les Trois Mousquetaires (œuvres de réflexion et de persuasion politique, philosophique et morale, ou de pur divertissement). Ses goûts le portent de plus en plus vers la littérature classique, au sens profond du terme (Poesia antica e moderna, 1941), et il refuse, comme entachés de « décadentisme », pratiquement tous les écrivains du xxe siècle (Letture di poeti, 1950).

Les deux courants contre lesquels Croce lutte avec le plus de vigueur dans les vingt dernières années de sa vie sont l'irrationalisme et l'esthétisme (« décadentisme », poésie pure). Ils se rejoignent dans le concept multiforme et complexe du « vital », auquel il oppose la primauté de la morale. Après la guerre, il fait montre d'un anticommunisme acharné.

L'influence de Croce a été considérable sur les générations qui n'avaient d'autre alternative que les séquelles du positivisme ou la confusion anarchisante de l'esthétisme décadent. La « génération des années difficiles » (1920) est plus réticente et voit en lui un grand homme un peu lointain, qui n'a su ni s'engager ni l'engager dans la lutte concrète contre le fascisme. Elle se tourne davantage vers Gramsci, l'« anti-Croce ».

Mais il est impossible de s'intéresser à la culture italienne sans tenir compte de Croce. Son influence est si profonde qu'elle n'est plus perçue, et qu'on voit souvent de farouches « anticrociani » poser les problèmes et raisonner sur eux comme le feraient ses disciples les plus orthodoxes.

— Charles BOULAY

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Pour citer cet article

Charles BOULAY. CROCE BENEDETTO (1866-1952) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ART (Le discours sur l'art) - L'histoire de l'art

    • Écrit par André CHASTEL
    • 4 725 mots
    • 1 média
    ...théorie des corpuscules et celle des ondes. Maints historiens, et en particulier l'école italienne marquée par l'esthétique post-hégélienne de B.  Croce, voient dans la monographie le principe et la fin de toute histoire de l'art digne de ce nom, c'est-à-dire attentive à désigner la « qualité poétique...
  • CHABOD FEDERICO (1901-1960)

    • Écrit par Bernard GUILLEMAIN
    • 689 mots

    C'est à ses origines et à sa naissance valdotaines que Federico Chabod doit d'avoir toujours pratiqué parfaitement les deux langues, le français et l'italien. Mais son tour d'esprit, sa culture, l'organisation philosophique de sa pensée appartiennent à l'Italie. Il est nourri de néo-hégélianisme et...

  • DÉCADENCE

    • Écrit par Bernard VALADE
    • 9 945 mots
    Parti d'un point de vue philosophique fortement teinté d'hégélianisme, Benedetto Croce s'est acheminé vers une conception psycho-sociologique de la décadence. Au départ, celle-ci n'assume pas chez lui le caractère d'une rupture ; elle est une période de latence. L'esprit éternel étant progrès contient...
  • ESTHÉTIQUE - Esthétique et philosophie

    • Écrit par Mikel DUFRENNE
    • 7 366 mots
    ...les produits. Témoin l'art sauvage, populaire ou naïf. L'esthétique, qui n'en a pas fini de se demander où commence et où finit l'art, peut ici mettre Croce au service de Dubuffet ; car pour Croce toute intuition, sitôt qu'elle s'exprime, est déjà de l'art ; il se souvient de Vico, qui situait la ...

Voir aussi