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CROCE BENEDETTO (1866-1952)

La critique littéraire

Il publie dans les mêmes années ses premiers essais de critique littéraire, qui portent sur la « littérature de la nouvelle Italie », c'est-à-dire essentiellement sur Carducci, D'Annunzio et le vérisme. Il refuse le raffinement décadent de Pascoli, D'Annunzio et Fogazzaro, et admire l'idéal moral de Carducci, un peu fruste mais solide. D'une façon analogue, il apprécie le sens du concret des écrivains véristes. Mais, opposant la froideur de Capuana à la richesse humaine de Verga (1907), il conclut que le dogme naturaliste de l'impassibilité a amené ce dernier, non pas à faire abstraction de ses sentiments, mais à les dominer, à les intégrer à son univers intérieur, qui s'exprime ainsi tout entier dans son œuvre. L'œuvre est donc l'expression de la « personnalité poétique » de l'auteur, distincte de sa « personnalité pratique ».

Croce est amené par là à considérer le problème du contenu de l'art, qui restait à l'arrière-plan dans l'Esthétique : c'est le sentiment (nature, matière), élaboré dans la pureté de la forme. Tout art véritable est par conséquent poésie lyrique (Saggio sul carattere lirico dell'arte, 1908). Cette conception de l'art comme romantisme dompté lui permet de réfuter les interprétations « décadentistes » de l'Esthétique (forme sans contenu) et d'illustrer sa dialectique de la circularité en montrant qu'il n'y a pas d'activité esthétique coupée des autres activités humaines.

Croce applique à sa méthodologie critique sa conception de l'histoire et de l'esthétique : l'histoire littéraire s'identifie à la critique littéraire, qui consiste à définir la personnalité poétique de l'écrivain. Étant expression individuelle, l'œuvre s'élève au-dessus de l'époque historique et du courant littéraire où elle a pris naissance, et la critique est donc monographique.

Croce s'est efforcé de projeter les problèmes qui le préoccupaient dans un système philosophique cohérent, harmonieux et solide. Son immanentisme, par exemple, est la justification théorique de la perte de la foi catholique, survenue vers sa treizième année. Mais la guerre vient ébranler ce monde apparemment sans failles. Son neutralisme le rapproche de Romain Rolland, et, si son admiration pour la culture allemande le fait passer pour germanophile aux yeux de l'opinion française, il oppose en fait un universalisme européen au déchaînement des nationalismes consécutif à la guerre.

Dans le Saggio sul carattere di totalità dell'espressione artistica (1918), il identifie l'esprit à l'univers, qui est contenu en totalité dans chaque œuvre poétique, et illustre cette idée dans ses essais sur Goethe (1918), Shakespeare (1919) et l'Arioste (1920). La poésie exprime l'harmonie de l'univers, faite de contrastes, conquise sur les passions, qui sont ainsi transfigurées dans une œuvre exempte de résidus intellectuels et moralisants. Inversement, l'œuvre de Corneille et La Divine Comédie lui semblent trop marquées, l'une par le volontarisme, l'autre par l'intellectualisme médiéval (rhétorique, philosophie, théologie). Il donne à ces résidus le nom de « structure ».

En même temps que le nationalisme, la guerre a déchaîné l'irrationalisme, que Croce voyait déjà en germe dans certaines formes inférieures du romantisme, au moment où la philosophie des Lumières commençait à décliner. Il faut opposer à l'invasion de l'activisme la raison et la volonté morale, c'est-à-dire la liberté ; telles sont les idées directrices de son Histoire d'Italie de 1871 à 1915 (1928) et de son Histoire de l'Europe de 1815 à 1915 (1932). Ces deux ouvrages marquent son aversion pour le fascisme, exprimée pour la[...]

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Pour citer cet article

Charles BOULAY. CROCE BENEDETTO (1866-1952) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ART (Le discours sur l'art) - L'histoire de l'art

    • Écrit par André CHASTEL
    • 4 725 mots
    • 1 média
    ...théorie des corpuscules et celle des ondes. Maints historiens, et en particulier l'école italienne marquée par l'esthétique post-hégélienne de B.  Croce, voient dans la monographie le principe et la fin de toute histoire de l'art digne de ce nom, c'est-à-dire attentive à désigner la « qualité poétique...
  • CHABOD FEDERICO (1901-1960)

    • Écrit par Bernard GUILLEMAIN
    • 689 mots

    C'est à ses origines et à sa naissance valdotaines que Federico Chabod doit d'avoir toujours pratiqué parfaitement les deux langues, le français et l'italien. Mais son tour d'esprit, sa culture, l'organisation philosophique de sa pensée appartiennent à l'Italie. Il est nourri de néo-hégélianisme et...

  • DÉCADENCE

    • Écrit par Bernard VALADE
    • 9 945 mots
    Parti d'un point de vue philosophique fortement teinté d'hégélianisme, Benedetto Croce s'est acheminé vers une conception psycho-sociologique de la décadence. Au départ, celle-ci n'assume pas chez lui le caractère d'une rupture ; elle est une période de latence. L'esprit éternel étant progrès contient...
  • ESTHÉTIQUE - Esthétique et philosophie

    • Écrit par Mikel DUFRENNE
    • 7 366 mots
    ...les produits. Témoin l'art sauvage, populaire ou naïf. L'esthétique, qui n'en a pas fini de se demander où commence et où finit l'art, peut ici mettre Croce au service de Dubuffet ; car pour Croce toute intuition, sitôt qu'elle s'exprime, est déjà de l'art ; il se souvient de Vico, qui situait la ...

Voir aussi