Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

AVICENNISME LATIN

  • Article mis en ligne le
  • Modifié le
  • Écrit par

Un bilan paradoxal

Les apports d'Avicenne aux philosophes et aux théologiens du Moyen Âge tardif sont des plus décisifs. La définition du sujet de la « philosophie première », l'être en tant qu'être ; la théorie de l'être « accident de l' essence », ouvrant sur une version standard de la différence ontologique, que Thomas d'Aquin développera dans sa théorie de la « composition réelle d'essence et d'existence » pour tout le créé ; celle du statut « indifférencié » de l'universel, fondant à la fois une psychologie intentionnelle des essences et un concept « univoque » de l'être (dont se réclamera Duns Scot) ; la notion d'un « être de l'essence » (esse essentiae) garantissant la possibilité d'une prédication sur les classes vides ; la doctrine des convenientia secundum ambiguitatem instaurant la première formulation d'une doctrine de l'« analogie » catégorielle et transcendantale que la tradition attribuera ensuite, à tort, à Aristote ; la définition de l'être de l'étant non nécessaire comme « faux être » (falsum esse), ce qui alimentera toutes les mystiques du « néant » de l'être créaturel, ou comme « être causé », ce que l'on retrouvera jusque dans la théorie ockhamiste de l'étant créé, étant véritable dont l'essence et l'existence sont inséparables, mais qui reste en son être même, en soi et de soi non nécessaire ; la classification des sens internes de l'âme avec la doctrine dite « cellulaire » de la fonction cérébrale qui lui sert de fondement anatomo-psychologique : toutes ces thèses – et bien d'autres encore – font qu'Avicenne est au cœur de tout, sans jamais, pour autant, susciter d'« avicennisme » au sens strict. Inversement, les thèses explicitement reconnues comme authentiquement et purement avicenniennes sont, presque toujours, discutées ou condamnées, y compris chez certains des « augustiniens avicennisants » (Guillaume d'Auvergne). Qu'il s'agisse de la définition de l'Intellect agent comme trésor des formes (ou Dator formarum), de la théorie du rôle « ministériel » des Intelligences dans une création pensée sur le mode de l'émanation, ou de l'axiome qui légitime l'une en expliquant l'autre et aux termes duquel « l'Un ne produit que de l'un » (ex uno non nisi unum), la pensée organique d'Avicenne n'est en général présentée que pour être suspectée ou dénoncée. Les grandes condamnations parisiennes de 1277, souvent considérées par les historiens comme des censures de l'« aristotélisme radical » ou de l'« averroïsme » sont, tout autant, dirigées contre Avicenne, Ghazālī et les multiples lectures « avicennisantes » du Liber de causis.

Une censure peut en cacher une autre. Depuis Renan, la place prise par l'« averroïsme latin » dans l'historiographie a, on l'a dit, fortement influencé l'idée d'un « avicennisme latin ». Si l'« augustinisme avicennisant » d'E. Gilson est une formule heureuse qui définit un espace de pensée où s'inscrivent de plein droit, par exemple, Guillaume d'Auvergne, Roger Bacon ou Roger Marston, il est bon de rappeler que l'instigateur des condamnations de 1277, le pape Jean XXI, n'est autre que ce Pierre d'Espagne, commentateur du De anima, dont l'appartenance au courant de l'augustinisme avicennisant a presque valeur de paradigme intellectuel. La censure frappant certaines thèses d'Avicenne est donc une mesure complexe qui réclame sans doute une reconsidération des intitulés et des écoles.

Si l'« avicennisme latin » est, comme nous le croyons, le pendant historiographique de l' averroïsme latin, il y a lieu de mettre en cause le sens[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : agrégé de philosophie, directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses), chaire histoire des théologies chrétiennes dans l'Occident médiéval

Classification

Pour citer cet article

Alain de LIBERA. AVICENNISME LATIN [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Autres références

  • GUILLAUME D'AUXERRE (1150 env.-1231)

    • Écrit par
    • 572 mots

    Parfois confondu avec Guillaume de Seignelay, évêque de Paris (mort en 1223), Guillaume d'Auxerre, maître en théologie, enseigne à l'université de Paris ; il porte le titre d'archidiacre de Beauvais, qu'il doit à l'amitié d'un évêque. Par là, il illustre cette fédération canoniale qui, au cœur...

  • MOYEN ÂGE - La pensée médiévale

    • Écrit par
    • 22 212 mots
    Omniprésent dans l'Avicenna latinus, on le retrouve chez Averroès ; il est aussi chez Alhazen. Il n'y a plus – la langue arabo-latine où s'écrit la philosophie aidant – qu'à le mettre chez Aristote. On peut mesurer l'ampleur du collage à quelques notations. Chez Alhazen, l'...