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ARGOT

Le bas-langage

Le bas-langage, forme dégradée de la langue populaire, est dans son origine distinct de l'argot, langue spéciale et plus ou moins secrète du crime et de la gueuserie.

En fait, à partir du xixe siècle, la disparition des grandes bandes organisées et la vulgarisation de leur jargon entraînent une étroite compénétration du bas-langage et des argots qui, tout en conservant un certain nombre de traits propres à chacun, présentent des caractères communs tant dans leur origine que dans leur sémantique et leur morphologie.

Il a de tout temps existé une littérature populaire de conteurs, farceurs, bonimenteurs, à laquelle sont venus puiser les conteurs du xvie siècle (Rabelais, Noël du Fail, Béroalde de Verville...) ; elle alimentera plus tard le théâtre de Tabarin et le roman burlesque de Scarron ou de Sorel. Mais ce n'est qu'au xviiie siècle que le bas-langage accède au rang de langue littéraire stylisée avec le poissard. On entend sous ce nom le langage des harengères de Paris, personnages pittoresques et qui ont depuis toujours une réputation d'effronterie et de franc-parler.

Deux poèmes de Jean-Joseph Vadé : La Pipe cassée et les Bouquets poissards (1743) les mettront à la mode ainsi que leur langage. Le genre va désormais fleurir avec Le Déjeuner de La Rapée de Lécluse (1748), Les Porcherons (1773), certaines des Œuvres badines du comte de Caylus (Les Écosseuses, Histoire de M. Guillaume Cocher).

Ce sont là les ancêtres du Père Duchêne, de Madame Angot, du vaudeville et de la chanson populaire dont Bruant reste le maître incontesté.

Le chef-d'œuvre de cette littérature populiste est L'Assommoir de Zola (1876) ; avec ce dernier, le bas-langage – on dit désormais l'argot des ouvriers, des faubourgs – accède à la dignité de moyen d'expression littéraire, l'œuvre étant, selon l'auteur lui-même, un « travail philologique ». Et c'est un travail remarquable par la précision de l'information, la justesse du ton, l'art de l'expression. Zola montre, par exemple, l'encanaillement et l'avachissement progressif du langage de Gervaise et c'est le langage même, dans sa forme, qui, plus que ses sentiments ou ses comportements, constitue le signe le plus dramatique de sa déchéance.

Dans un tout autre esprit et un tout autre style, un écrivain peut adopter le bas-langage – ou, comme on le voit ailleurs, toute autre forme de l'argot – à des fins expressives. Le vocabulaire et la syntaxe de Céline, par exemple, libèrent à travers son œuvre une charge latente de frustration, de colère, de dénigrement dont le bouillonnement bourbeux et glaireux submerge un monde et un ordre passionnément refusés. L'argot n'est pas un phénomène isolé : Zazie dans le métro de Queneau se situe à l'intersection du langage populaire, du parler enfantin et de l'argot parisien. Ce dernier anime Touchez pas au grisbi de Simonin.

— Pierre GUIRAUD

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Écrit par

  • : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Nice

Classification

Pour citer cet article

Pierre GUIRAUD. ARGOT [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • COQUILLARDS

    • Écrit par Jean MEYER
    • 544 mots

    Dès la conclusion du traité d'Arras (1435) entre Charles VII et Philippe le Bon, une partie des troupes utilisées au cours de la lutte des Armagnacs et des Bourguignons devient inutile, d'autant plus que le roi de France a déjà entamé la création du noyau d'une armée permanente. Après la trêve...

  • COUTÉ GASTON (1880-1911)

    • Écrit par Guy BELOUET
    • 444 mots

    Poète « mineur » puisque chansonnier montmartrois, Gaston Couté, né à Beaugency sur la frange beauceronne, mort à trente et un ans dans un hôpital parisien, de la misère et de tous les excès qui ont dévoré sa santé, fut un vrai poète maudit et un authentique créateur. Moins connu qu'...

  • JOBELIN

    • Écrit par Daniel POIRION
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    Dans la première édition imprimée de François Villon (Pierre Levet, 1489), six ballades en argot sont rassemblées sous le titre : Jargon et jobellin. Le second terme doit préciser le premier ; on pense qu'il désigne le jargon des gueux ; mais, si on le rapproche du mot « jobe » (niais,...

  • LANGUE REGISTRES DE

    • Écrit par Catherine FUCHS
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    On appelle « registres de langue » les usages que font les locuteurs des différents « niveaux de langue » disponibles, en fonction des situations de communication. Ces usages relèvent de la « parole » telle que la définit Ferdinand de Saussure (1857-1913), c'est-à-dire de l'utilisation...

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